Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

13 juin 2013

Quatrième pouvoir: si on essayait la démocratie?

La notion de « liberté de la presse » a quelque chose d’utopique. A la dif­fé­rence du citoyen béné­vole, expri­mant son opi­nion au bis­trot ou sur Inter­net, le jour­na­liste pro­fes­sion­nel, par défi­ni­tion, est payé par quelqu’un. Il doit for­cé­ment répondre aux attentes de la main qui le nour­rit. Il existe de par le monde trois types d’acteurs finan­çant la presse : l’État, les annon­ceurs publi­ci­taires et les lecteurs.
Les démo­crates sou­cieux de sépa­ra­tion des pou­voirs ne peuvent que sou­hai­ter una­ni­me­ment que le contrôle de la presse soit du res­sort des lec­teurs. En ce sens, le suc­cès du jour­nal fran­çais en ligne Media­part, financé essen­tiel­le­ment par ses abon­nés, est tout à fait encourageant.
Mal­heu­reu­se­ment, ce modèle risque de mener à une société à deux vitesses, où la par­tie la moins riche et la moins éduquée de la popu­la­tion se contente d’une presse « gra­tuite » finan­cée par les annon­ceurs publi­ci­taires, pen­dant que seule une élite a accès à l’information de qualité.
On connaît le mythe biblique de la mul­ti­pli­ca­tion des pains, avec ces paniers où les gens pou­vaient se res­ser­vir indé­fi­ni­ment, sans que jamais ils ne soient vides. L’information pos­sède la même carac­té­ris­tique mira­cu­leuse : vous pou­vez lire tout ce que vous vou­lez sans en pri­ver qui que ce soit.
Cha­cun est révolté à la vue de ces images de la crise des années 1930 où l’on détrui­sait de la nour­ri­ture, pour en faire remon­ter le prix, quand nom­breux étaient ceux qui ne man­geaient pas à leur faim. On oublie pour­tant de s’indigner quand l’accès à l’information est limité, quand on empêche les êtres humains de nour­rir leur intel­li­gence dans les paniers inépui­sables qui contiennent le pain du savoir. J’ai ren­con­tré une neu­ro­logue rou­maine qui pei­nait à s’informer des déve­lop­pe­ments de sa branche, parce que son hôpi­tal n’avait pas les moyens de s’abonner aux revues scien­ti­fiques de pointe. Com­bien de spé­cia­listes des pays pauvres sont-ils ainsi entra­vés ? Com­bien de décès en sont-ils la conséquence ?
L’accès des votants à des infor­ma­tions poli­tiques de qua­lité n’est-il pas aussi, pour une démo­cra­tie, une ques­tion de vie ou de mort ? Mais com­ment trou­ver moyen de conci­lier les deux exi­gences contra­dic­toires que sont le contrôle par les lec­teurs et la gra­tuité d’accès ? Autre­ment dit, com­ment faire pour ver­ser de l’argent public aux jour­naux tout en lais­sant le contrôle aux citoyens ? Voilà la ques­tion fon­da­men­tale que les jour­na­listes devraient se poser.
On pour­rait par exemple ima­gi­ner que chaque citoyen reçoive chaque année un « chèque-média » qu’il pour­rait rever­ser aux organes de presse de son choix. Ce sys­tème, qui serait une écono­mie de mar­ché à égalité de pou­voir d’achat, autre­ment dit une démo­cra­tie, ne garan­ti­rait pas for­cé­ment une presse de qua­lité, car il serait à la merci des mau­vais choix des citoyens. Cha­cun le sait, la démo­cra­tie est le pire des sys­tèmes. Mais c’est aussi le moins mauvais…

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