Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

19 août 2007

Ne nous vendons pas à n’importe qui !

Les personnes au chômage ressentent souvent un sentiment de dévalorisation pouvant entraîner de lourdes souffrances psychiques, parfois plus graves que les conséquences purement financières de leur situation. Qu’on pense à cet homme qui n’osait pas écouter de musique pendant la journée, de peur que ses voisins l’entendent et se rendent compte qu’il était chômeur.
Les chômeurs ont honte parce qu' « ils ne gagnent pas leur vie ». Mais qu’entend-on exactement par « gagner sa vie » ? En réalité, cette expression contient deux sens qu’on devrait prendre soin de distinguer. D’une part, cela veut dire « recevoir de l’argent en échange d’un travail ». D’autre part, cela signifie également « faire quelque chose d’utile », afin de ne pas avoir l’impression d’être « à la charge de la société ».
Il faudrait éviter le plus possible d’utiliser cette expression réactionnaire formée des mots : « gagner sa vie ». En effet, son usage répété amène à penser que ses deux sens sont équivalents et que toute personne rémunérée pour une activité, quelle qu’elle soit, accomplit quelque chose d’utile. C’est pourtant loin d’être toujours le cas. Bien que le travail soit à la source de toute richesse, tout travail n’est pas utile.
Il existe même du travail nuisible. Qu’on pense à la publicité qui incite à s’endetter pour acheter des voitures inutilement dangereuses et polluantes ; aux juristes qui manigancent pour contourner les lois ; aux comptables qui oeuvrent à l’évasion fiscale ; à la promotion de certains médicament par l’industrie pharmaceutique, souvent plus préoccupée de ses profits que de santé publique ; au tabac ; aux armes ; à la presse qui ne peut pas dire la vérité lorsque celle-ci va à l’encontre de l’intérêt des annonceurs dont elle dépend. Sans oublier les vendeurs de téléphones mobiles qui nous harcèlent dans la rue.
Il serait déplacé de faire un quelconque reproche aux travailleurs de toutes ces industries, qui ne sont pas responsables des politiques de leurs dirigeants, n’ont pas vraiment le choix et sont même parfois exploités, certains au point d’y perdre leur santé voire leur vie. Mais il est important de se rendre compte que ce qu’ils font est souvent nuisible à la société et ne contribue qu’à remplir les poches de patrons peu soucieux du bien commun. On peut se demander s’il est raisonnable de considérer qu’ils « gagnent leur vie » et méritent plus de considération que les personnes sans emploi. Ces dernières peuvent du moins se targuer de ne rien faire de nuisible. Il faut donc qu’elles aient le courage de penser et de dire (sauf bien sûr aux gendarmes de l’ORP) qu’il n’y a pas plus de honte à ne rien faire qu’à faire n’importe quoi.
C’est une belle chose que d’avoir envie de faire quelque chose d’utile, mais cela ne veut pas dire qu’il faut être prêt à se vendre à n’importe qui pour « gagner sa vie », car cela profitera avant tout aux patrons les moins soucieux du bien commun, ainsi qu’aux actionnaires qui, rappelons-le, encaissent des dividendes sans fournir le moindre travail en contrepartie.
Les politiques des gens qui nous gouvernent créent du chômage. C’est malheureux mais c’est ainsi. Si vos compétences et votre envie de bien faire ne sont pas mises à contribution, il n’y a donc aucune raison pour que vous culpabilisiez une seule seconde. Et si vous arrivez à vivre heureux avec pas trop d’argent en profitant de votre temps libre, nous ne pouvons que vous faire part de nos plus chaleureuses félicitations.