Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

24 septembre 2006

Lettre ouverte à M. Patrick Fischer

Monsieur,

Dans le cadre de l’émission Mise au Point du 24 septembre, vous avez accueilli M.Pierre Mirabaud, président de l’Association suisse des banques, un riche homme de pouvoir qui pourrait se payer des pages entières de publicité dans les journaux. Ce personnage n’ayant aucun besoin que la TSR lui offre une tribune gratuitement, votre choix de l’inviter n’était défendable que si vous aviez pour objectif de lui poser des questions incisives, susceptibles de mettre en évidence les faiblesses de son discours. Si telle était votre intention, j’ai le regret de vous dire que vous avez été décevant.
M.Mirabaud affirme que la politique s’occupe trop des « faibles » et n’en fait pas assez pour les « forts », stigmatisant ceux qui « jalousent la réussite ». Pourquoi ne lui avez-vous pas demandé si, en tant que fils à papa de la banque privée, né avec une cuillère en argent dans la bouche, il n’a pas l’impression d’être un peu ridicule lorsqu’il se compte parmi les « forts » et affiche une fierté de self-made-man ?
Quand il insiste sur le « travail » et s’en prend aux « parasites », pourquoi ne pas lui rappeler que les détenteurs de capitaux reçoivent également de l’argent sans rien faire en contrepartie ? Pourquoi ne pas lui demander si son insistance sur la « performance » ne sert pas à faire oublier qu’il a sans doute, au cours de sa vie, gagné beaucoup plus en faisant travailler son argent — c’est à dire en tirant profit du travail d’autrui — qu’en travaillant lui même ?
Vous restez sur les sentiers battus, suggérant à M.Mirabaud de « redistribuer » les richesses. La réponse est toujours la même : « Avant de redistribuer les richesses, il faut les créer ». Ne pourriez-vous pas une fois, une seule, remettre en cause ce poncif et demander si les riches créent vraiment ce qu’ils possèdent ? Pourquoi ne pas lui demander quelle est la richesse « créée » par les propriétaires d’immeubles de Genève, dont les loyers exorbitants pompent l’argent des salariés ? Pourquoi se contente-t-on toujours d’attaquer les riches parce qu’ils sont riches et ne leur reproche-t-on jamais d’encaisser de l’argent sans rien faire, à l’instar des assistés sociaux, à la différence près que les montants en cause sont beaucoup plus importants ? De quel côté sont donc les « abus » ?
Peut-être M.Mirabaud vous dirait-il que l’argent doit toujours être gagné par le travail avant d’être investi. Mais est-ce toujours le cas ? Est-il vraiment sûr que toute la fortune de sa famille a des origines honnêtes ? A-t-il vérifié que ses ancêtres n’ont pas tiré profit du trafic des esclaves ou collaboré avec les plus épouvantables dictateurs ? Osera-t-il vous répondre qu’il est inutile de remuer le passé, alors que ces sommes lui rapportent des revenus aujourd’hui encore et que les banquiers privés genevois sont généralement si fiers de leur ancienneté ?
M.Mirabaud vous rétorquera sans doute que les investisseurs prennent le risque de perdre leur argent et méritent donc une rémunération. Mais est-ce bien vrai ? Fouillez les publicités des banques et vous découvrirez sans doute qu’elles promettent le contraire à leurs clients, en leur proposant de diversifier leurs risques au maximum. Seuls les investisseurs les plus avides, qui veulent vraiment gagner beaucoup, courent un véritable danger.
D’autre part, pourquoi ne pas demander à M.Mirabaud si tous ses millions le rendent vraiment plus heureux ? Lorsqu’on a tout, n’est-il pas un peu infantile, voire maladif, d’en vouloir encore plus ? Ne se sentirait-il pas plus à l’aise devant sa glace s’il oeuvrait au bien général plutôt qu’au service des pulsions d’enrichissement puériles des multimillionnaires ?
Et en entassant dans ses coffres tout cet argent dont il ne sait que faire, ne se sent-il pas un peu responsable du chômage ? Y a-t-il vraiment besoin d’avoir lu Keynes pour comprendre que si ces sommes étaient dans les mains des gens qui en ont besoin, ils les dépenseraient et créeraient des emplois ?