Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

29 avril 2009

Démocratie à la mode Raiffeisen


Je me souviens il y a quelques années avoir vu à la télévision une assemblée des actionnaires de l’UBS où deux ou trois « gros » actionnaires, debout au premier rang, mettaient à eux seuls en minorité une salle entière de petits actionnaires en colère. Une telle chose n’est évidemment pas possible dans une coopérative comme la banque Raiffeisen des Montagnes neuchâteloises, qui a tenu son assemblée le 24 avril dernier : la voix de chacun des 619 coopérateurs présents au Locle avait la même valeur. Etant de ceux qui croient que la démocratie ne doit pas s’arrêter aux portes des entreprises, j’y ai proposé que Raiffeisen Montagnes neuchâteloises prenne position contre les salaires abusifs des dirigeants de Raiffeisen Suisse et se prononce en faveur d’un plafonnement à 600 000 francs par an du salaire du directeur, qui se déplacerait paraît-il en jet privé et gagnerait un ou deux millions par année (Je m’excuse de l’imprécision, mais le Conseil d’administration de Raiffeisen Montagnes neuchâteloises n’a pas été en mesure de me donner des chiffres plus précis, faisant preuve d’un étonnant manque d’intérêt pour un sujet qui devrait pourtant le concerner au premier chef).
Je dois avouer que j’ai un peu honte de ma modération presque extrémiste, sachant ce que 600 000 francs représentent pour la plupart des gens, sachant aussi que nombreuses personnes dont l’activité demande des qualités bien plus pointues que celles d’un directeur de banque se contentent de rémunération infiniment moins élevés. Bien des banquiers nous ont d’ailleurs prouvé ces derniers temps que les salaires pharaoniques ne sont nullement une preuve de compétence. 
Pourtant, le président du Conseil d’administration a refusé de mettre ma proposition au vote, sans même m’expliquer pourquoi il s'y  opposait. Il m’a simplement expliqué que le Conseil d’administration détient la prérogative exclusive de fixer l’ordre du jour de l’Assemblée des coopérateurs, dont les compétences sont ainsi extrêmement réduites, puisqu'elle doit se contenter de dire "oui" ou "non" à ce qu'on lui propose. Et c’est ainsi que j’ai découvert les limites de la démocratie à la mode Raiffeisen... Reconnaissons malgré tout que la fondue chinoise offerte était excellente.


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09 avril 2009

Obama et le Conseil fédéral : qui est pire ?

Obama et le Conseil fédéral : qui est pire ?
Les économistes les plus en vue critiquent sévèrement le nouveau plan de sauvetage des banques américaines…

« J’aimerais dissiper un malentendu. La Confédération ne verse pas l'argent du contribuable dans une banque. Je n'aurais jamais admis une telle décision. Il s'agit simplement d'un prêt à UBS, au taux de 12,5% ». Voilà ce qu’Hans-Rudolf Merz répondait le 8 novembre de l’an dernier aux journalistes du Temps qui l’interrogeaient au sujet du « joli cadeau » accordé à l’UBS. Merz disait la vérité, mais à hauteur de moins de 10%, soit les 6 milliards de francs suisses prêtés par la Confédération à l’UBS.
Les journalistes du Temps se gardaient bien de lui poser la question qui fait mal : que pensez-vous donc des 54 milliards de dollars avancés par la Banque Nationale Suisse ? Rappelons que la BNS prête cette somme, supérieure au budget annuel de la Confédération, dans une « société à but spécial ». En cas de faillite de cette société, une partie de l’argent prêté pourra être perdu par la BNS, sans possibilité de le réclamer à l’UBS, même si celle-ci retrouve le chemin du profit dans l’intervalle. Cette éventualité est tout sauf improbable, quand on sait que le « but spécial » en question est de racheter à l’UBS des « actifs pourris » à un prix d’achat fixé par des « experts », qui sera à n’en pas douter un prix « politique », un prix que personne d’autre n’est prêt à mettre.

Marché faussé
Confronté au même problème que la Confédération, Barack Obama a choisi une « solution » similaire. Personne sur le marché n’est prêt à acheter les actifs pourris à un prix que les banques pourraient accepter sans se retrouver immédiatement en faillite. Donc, il faut les racheter au prix fort avec de l’argent public. 
Toutefois, plutôt que sur des experts, l’administration américaine compte sur le marché pour fixer le prix. Mais comment faire pour que ce prix soit artificiellement surévalué ? Comment convaincre les investisseurs d’acheter des actifs trop cher, c’est à dire en sachant qu’une baisse est beaucoup plus probable qu’une hausse ? Personne ne serait assez fou pour faire un tel pari, à moins de pouvoir jouer l’argent de quelqu’un d’autre, en l’occurrence celui des contribuables américains.
Afin de fausser le marché dans le sens désiré, l’Etat américain a lancé récemment un programme permettant aux investisseurs de créer des fonds d’investissements publics-privés, destinés à racheter des actifs pourris. L’argent nécessaire sera avancé à 93% par l’Etat, à raison de 86% sous forme de prêt et 7% sous forme d’actions du fonds. Un investisseur peut donc acquérir des actifs pourris en avançant seulement 7% de leur prix, ce qui correspond à la moitié des actions du fonds. En cas de faillite du fonds, le prêt de l’Etat ne sera pas remboursable.
De ces petits montages entre amis, il résulte qu’en cas de baisse des actifs, l’Etat peut perdre jusqu’à 13 fois plus d’argent que l’investisseur ! En revanche, si le prix des actifs monte, le gain est partagé à 50-50 entre l’investisseur et l’Etat, qui sont actionnaires à parts égales, bien que l’Etat ait investi 11 fois plus! Dans l’hypothèse où le prix d’un paquet actif augmenterait de 50%, le gain de l’investisseur serait de 350% de la mise de départ, alors que l’Etat ne gagnerait que 27% de sa mise !

Obama pire que Bush ?
Certains des plus fameux économistes américains ont vertement critiqué ce plan, dont les deux prix Nobel classés « à gauche » que sont Paul Krugman et Joseph Stieglitz, ce dernier estimant qu’il s’agit d’« un partenariat dans lequel un partenaire vole l’autre ». Même pour Jeffrey Sachs, néo-libéral promoteur des thérapie de choc, le plan de l’administration Obama est « une tentative à peine voilée de transférer des centaines de milliards de dollars d’argent public aux banques commerciales, en achetant aux banques des actifs toxiques bien au dessus de leur valeur de marché… Pas étonnant que la capitalisation boursière des banques ait augmenté de 50% ».
Sachs considère même que du point de vue du contribuable américain, le nouveau plan est pire que celui adopté l’automne dernier à l’époque de George W.Bush.  Il met également en évidence un autre effet pervers du système : si les banques veulent racheter leurs propres actifs pourris à des prix surfaits avec l’argent de l’Etat, en avançant seulement 7% de la somme, il sera très difficile de les en empêcher, car “il y a des tas de manières de le faire indirectement, comme par exemple acheter les actifs d’une autre banque qui en retour achètera les vôtres”.

Aucune excuse
Le plan de l’admnistration américaine, pas plus que les cadeaux fait à l’UBS, n’est nécessaire pour sauver l’économie. Rien ne justifie ces détournements d’argent public. Pour Jeffrey Sachs, « il existe d’excellentes alternatives ». Il propose par exemple de fonder une « bonne Citibank », qui reprendrait les activités viables, pendant que l’entreprise originelle, la « mauvaise Citibank », garderait les actifs pourris. Les actions de la « bonne Citibank », propriété de la « mauvaise Citibank », serviraient à indemniser les créanciers et les actionnaires de cette dernière, destinée à être liquidée.
Bien évidemment, un tel plan aurait également pu s’appliquer à l’UBS. Mais peut-être eût-il fallu que les principaux partis au pouvoir, ici comme aux Etats-Unis, n’aient pas été stipendiés par les banquiers…