Le système financier est un nuage qui
plane au dessus de l'économie. En permanence, de l'argent s'évapore
vers le nuage sous forme de cet impôt discret qu'on appelle le
rendement. En retour, les investissements pleuvent. Lorsque les
pluies sont inférieures à l'évaporation, autrement dit lorsque les
investisseurs, pris dans leur ensemble, déversent dans l'économie
une quantité d'argent plus faible que celle qu'ils reçoivent, on
appelle cela la crise. L'argent manque et le chômage monte. Les
temps de non-crise sont ceux où la pluie des investissements est
plus importante en volume que l'évaporation des remboursements et
des paiements d'intérêts.
Bien entendu, les investisseurs
n'acceptent de verser plus qu'il ne reçoivent que dans l'espoir de
gains futurs. En échange de l'argent avancé, ils obtiennent des
créances ou des titres de propriétés sur de nouvelles usines, de
nouveaux entrepôts, de nouveaux logements, de nouveaux aéroports,
de nouveaux brevets, etc.
Ces nouveaux titres de propriété
détenus par les investisseurs correspondent évidemment à de
nouvelles obligations financières pour l'économie réelle. Cette
spirale sans fin peut être illustrée par l'exemple fictif
ci-dessous :
Année
|
PIB
|
Nouveaux investissements (chaque année 10,5%PIB) |
Revenus des investissements (chaque année 10%PIB) |
1 |
100 |
21 |
20 |
2 |
110 |
23 |
22 |
3 |
120 |
25 |
24 |
Dans une telle situation, l'économie
réelle est contente parce que chaque année, elle reçoit plus
qu'elle ne paie. Extraordinairement, les investisseurs sont aussi
contents, parce que chaque année ils encaissent une somme supérieure
à celle qu'ils ont investie l'année précédente. Etrange tour de
passe-passe temporel, où tout le monde gagne grâce à la
croissance.
Une telle harmonie n'est plus possible
si le PIB reste constant, en supposant toujours que le revenu des
investissements reste stable à 10 % du PIB (produit intérieur
brut).
Année
|
PIB
|
Nouveaux Investissements |
Revenus investissements (10%PIB) |
1 |
100 |
21 |
20 |
2 |
100 |
??? |
20 |
L'expérience de pensée des tableaux ci-dessus, bien que très simpliste, suffit à démontrer qu'une économie ne peut pas fonctionner sans croissance du PIB, dès lors qu'elle fonctionne sur le principe selon lequel l'argent rapporte de l'argent. Cela fait un peu penser à ce qu'en Amérique latine on appelait le péonage : un système d'endettement perpétuel dans lequel les paysans héritaient des dettes de leurs parents et n'avaient pas le droit de quitter leur maître avant de les avoir remboursés. Obligée qu'elle est de satisfaire les investisseurs, l'économie réelle est enchaînée à la nécessité de croître ou mourir.
Il est bien connu que la croissance du PIB est composé d'activités productrices de vraies richesses (santé, éducation, etc.) et d'activités inutiles voire nuisibles (armes, tabac, etc.). Mais toutes ces activités sont liées étroitement entre elles dans un système foncièrement instable obligé d'avancer pour ne pas tomber, au point qu'il est très compliqué de freiner un secteur sans que les autres ne suivent au même rythme. Tant que l'organisation de l'économie reposera sur l'idée que l'argent doit rapporter de l'argent, il sera donc extrêmement difficile de mettre en place une politique économique reposant sur des critères humains et écologiques plutôt que sur des critères de rendement financier.