Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

19 décembre 2011

Tais-toi et mange !

Les pauvres doivent-ils « fermer leur gueule » ?

Le restaurant social Ekir, à La Chaux-de-Fonds, sert depuis bientôt trois ans des repas de qualité à sept francs. Le travail y est en totalité effectué par des bénévoles. Parmi ceux-ci, des gens « comme tout le monde » côtoient sur un pied d'égalité des personnes dont le parcours a été plus difficile, dont un certain nombre de bénéficiaires des services sociaux ou de l'AI, pour qui les programmes d'insertion officiels sont souvent trop rigides. Ici, chacun peut venir travailler à son propre rythme, régulièrement ou une fois de temps à autre. Il n'y a aucune hiérarchie et toutes les décisions sont prises par l'assemblée du mercredi, ouverte à tous les bénévoles.

Ce fonctionnement particulier n'est pas toujours bien compris, ni bien accepté, par des « bien-pensants » qui estiment que la « réinsertion » devrait se faire sous la supervision de travailleurs sociaux. D'autres vont jusqu'à remettre en cause la liberté d'expression d'Ekir.

Ainsi, en septembre dernier, l'association s'est fait taper sur les doigts parce qu'elle avait osé contacter la presse locale pour se plaindre du niveau trop bas des subventions versées par la Ville de la Chaux-de-Fonds. Elle s'est fait immédiatement remettre à l'ordre par la conseillère communale (exécutif) Annie Clerc, affirmant que « si une décision de subvention doit être remise en cause, elle devrait l'être par un courrier ou par une demande de rencontre ».

Plus récemment, l'association Table suisse, qui récupère les invendus des supermarchés et les redistribue, n'a pas admis qu'Ekir collabore à la pétition des Indignés de La Chaux-de-Fonds, qui exige que la Migros Neuchâtel-Fribourg cesse de jeter ses surplus et les donne plutôt à ... Table suisse. Bien que la pétition ait rencontré un important succès et que la Migros se soit rapidement déclarée prête à négocier, Table suisse, craignant que ce genre de méthodes nuise à ses relations avec ses fournisseurs, s'en est vigoureusement désolidarisé, n'hésitant pas à parler de « pseudo-victoire ». On peut comprendre et respecter ce point de vue. En revanche, le chantage exercé par Table suisse laisse songeur : « Si une situation similaire venait à se reproduire, nous serions dans l'obligation de cesser immédiatement et de manière définitive toute livraison à votre association. Décision qui serait probablement plus lourde de conséquences pour vous que pour nous ».

On pourrait croire que la liberté d'expression, garantie par l'article 16 de la Constitution, devrait aller de soi dans la Suisse de 2011. Pourtant, d'aucuns estiment visiblement que toute personne ou association bénéficiaire d'une aide, en espèce ou en nature, ne devrait pas s'exprimer publiquement sans l'autorisation de ses bienfaiteurs. Comme l'avait dit l'ancien président de Neuchâtel Xamax, Silvio Bernasconi, « que ceux qui n'ont pas d'argent ferment leur gueule » !


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25 novembre 2011

Le coût social des naissances non désirées

A lire aussi sur le site de Domaine public

Les milieux suisses opposés à l’avortement, ayant renoncé à convaincre les citoyens sur le fond de la question, se replient sur des arguments bassement financiers. Ils ont déposé le 4 juillet 2011 une initiative populaire fédérale visant à supprimer le remboursement de l’interruption de grossesse par l’assurance de base. Ils espèrent ainsi pouvoir interdire aux femmes pauvres ce qu’ils ne peuvent interdire à toutes les femmes.

Bien que les sommes en question soient dérisoires, le débat est malheureusement lancé. A ce sujet, il est intéressant de prendre connaissance des travaux des économistes américains Steven Levitt et Stephen Dubner: ils se sont interrogés sur la baisse de la criminalité constatée aux Etats-Unis dès le début des années 1990, que personne n’avait prévue. Après avoir constaté que nombre d’explications courantes – plus grande sévérité des peines, meilleure efficacité policière – ne sont pas confirmées statistiquement, ils arrivent à la conclusion surprenante que la cause principale du phénomène remonte à … 1973, lorsque l’avortement devint légal dans l’ensemble des États-Unis.

Il semble bien qu’un enfant non désiré, que sa mère aurait préféré ne pas mettre au monde, a une probabilité particulièrement forte de devenir criminel. Lorsque l’avortement fut légalisé, on constata que les enfants non nés auraient eu 50% de chances de plus que la moyenne d’être pauvres et 60% de chances de plus que la moyenne de grandir dans une famille monoparentale, deux facteurs qui doublent le risque de devenir criminel, au même titre que le fait d’avoir pour mère une adolescente. Il n’est donc pas si étonnant que la criminalité ait commencé à baisser une vingtaine d’années après la légalisation de l’avortement.

Une analyse plus fine apporte confirmation: dans les cinq États qui ont légalisé l’avortement avant 1973, soit New York, la Californie, l’Etat de Washington, Hawaï et l’Alaska, la criminalité a baissé plus tôt que dans le reste du pays. D’autre part, les États ayant connu le plus fort taux d’avortement au cours des années 70 sont ceux où la criminalité a le plus baissé au cours des années 90. Des études effectuées en Australie et au Canada sont arrivées à des conclusions semblables.

En Suisse aussi, les femmes qui font le choix douloureux de renoncer à leur enfant sont celles qui auraient le plus de peine à l’éduquer dans de bonnes conditions. Par-dessus le marché, le non-remboursement de l’interruption de grossesse pénaliserait en priorité les plus démunies d’entre elles. Les enfants nés dans de telles conditions difficiles courraient donc un risque de mal tourner largement supérieur à la moyenne en plus des autres difficultés sociales liées à une naissance non forcément désirée et planifiée.

Autant dire que les soi-disant économies mises en avant par les opposants à l’avortement entraîneraient probablement des dépenses supplémentaires.

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Source: Steven D. Levitt et Stephen Dubner, Freakonomics, Folio actuel 2006, «Où sont passés les criminels?», pp. 172-216.

24 novembre 2011

Prunelle de l'oeil de Dieu, mon oeil !

« Israël, prunelle de l’œil de Dieu ». Chacun aura lu sur les murs de nos régions ce slogan qui fait la promotion d'un pays maintes fois condamné par les Nations-Unies, qui mène une politique coloniale brutale à l'encontre du peuple palestinien. Ces affiches, qui postulent la supériorité d'un peuple sur les autres, sont racistes, de la même façon qu'il est raciste de prétendre que la race blanche est une race supérieure, même si on ne dit rien de négatif sur les Noirs ou les Chinois. Il est normal et même sain que certaines personnes aient réagi par des graffitis. Cela n'est certes pas légal, mais s'agissant d'affiches qui devraient elles-mêmes tomber sous le coup de la loi contre le racisme, c'est une réponse proportionnée. Les graffiteurs n'ont pour l'instant pas dérapé vers l'antisémitisme comme on aurait pu le craindre, ce qui est réjouissant pour la communauté juive et pour tout le monde. Si les afficheurs ont réagi par une plainte pénale pour dommage à la propriété, comme on peut le lire dans l'Impartial et l'Express du 23 novembre, c'est probablement parce qu'ils n'ont pas d'autres arguments à faire valoir. Si vraiment ils sont ignorants au point de s'imaginer une seule seconde que le message qu'il véhiculent est « d'ordre spirituel et non pas politique », si vraiment ils ne savent pas que Dieu est utilisé comme argument dans une lutte féroce pour la terre et l'accès à l'eau, alors espérons que cette affaire leur donnera l'occasion de réfléchir quelque peu.

Paru dans l'Impartial

11 novembre 2011

Petit problème de probabilités

Le problème était le suivant: derrière trois portes closes se trouvent une voiture et deux vaches en carton. Le candidat, qui en principe souhaite gagner la voiture, désigne tout d’abord une des trois portes. L’animateur ouvre une des deux portes restantes, derrière laquelle se trouve une des deux vaches en carton. Le candidat a maintenant le choix. Il peut ouvrir soit la porte qu’il a désignée au début, soit celle des deux autres portes que l’animateur a laissé fermée.

Il y a quatre stratégies possibles:

-Monsieur Doof, qui pense que l’animateur cherche à le rouler, décide de ne modifier son premier choix en aucun cas. Mais ce premier choix, auquel M.Doof s’attache plus que de raison, a été fait au hasard entre trois portes. M.Doof n’a donc qu’une chance sur trois de recevoir la voiture.

-La Comtesse von und zu Fall décide d’ignorer son premier choix et de s’en remettre totalement au hasard pour son choix définitif. Comme elle choisit après que l’animateur a exclu une des portes, elle a une chance sur deux de gagner.

-Madame Kluge spécule sur le fait qu’il y a deux chances sur trois que, derrière la première porte qu’elle désigne, se trouve une vache en carton. Si elle est bien tombée sur la vache espérée, Mme Kluge est alors sure de gagner. L’animateur ouvrira celle des deux portes restantes derrière laquelle se trouve l’autre vache en carton, et Mme Kluge ouvrira celle derrière laquelle se trouve la voiture.

-Monsieur Hoover a corrompu les organisateurs de l’émission et sait où se trouve la bonne porte. Il a cent pour cent de chances de gagner.

En fait, tout dépend de la manière dont les candidats utilisent l’information. Les joueurs non-corrompus obtiennent de l’animateur deux informations. Premièrement, ils apprennent la position d’une des deux vaches en carton. Deuxièmement, ils savent que l’animateur a une liberté limitée, vu qu’il s’interdit d’ouvrir la porte choisie par le candidat au premier tour. Ce n’est que dans un cas sur trois que l’animateur peut choisir entre les deux vaches en carton (lorsque le candidat a désigné la porte derrière laquelle se trouve la voiture) et c’est justement dans ce cas que Mme Kluge perd, parce qu’elle a misé sur les deux cas où l’animateur est parfaitement calculable. La Comtesse von und zu Fall, quant à elle, a négligé la deuxième information, et M.Doof, lui, a négligé à la fois la première et la deuxième.

La Comtesse von und zu Fall croit qu’elle a des chances égales quelle que soit la porte qu’elle ouvre, ce qui aboutirait à un paradoxe dans le cas où elle ouvrirait la même porte que Mme Kluge: l’une aurait une chance sur deux de gagner et l’autre deux sur trois, alors même qu’elles sont en train d’ouvrir la même porte!
Pour ne pas se laisser leurrer par cette contradiction apparente, il faut garder à l’esprit que la probabilité doit se calculer non pas après, mais avant qu’on choisisse.
La Comtesse von und zu Fall a en fait une chance sur deux d’ouvrir la même porte que Mme Kluge, auquel cas elle a deux chance sur trois de gagner. Ce qui veut dire qu’il y a deux chances sur six que la Comtesse von und zu Fall gagne en jouant sans le savoir comme Mme Kluge. Parallèlement, elle a une chance sur six de gagner en jouant comme M.Doof. Au total, elle a bel et bien une chance sur deux.

Il ne faut pas croire qu’il y a deux chances sur trois que la voiture se trouve derrière une porte et une chance sur trois qu’elle se trouve derrière l’autre, nous dira M.Hoover. Les choses sont beaucoup plus simples: il y a 100% de probabilité que la voiture se trouve derrière la bonne porte.
Il n’y a là non plus aucune contradiction: Mme Kluge a deux chances sur trois de jouer sans le savoir comme M.Hoover et d’avoir 100% de chances de gagner. Ce qui au total fait toujours deux tiers.

10 novembre 2011

La droite Pinocchio contre le salaire minimum

La droite a décidé d'attaquer... par la gauche. Voilà ce qui se passe en ce moment dans les cantons de Genève et Neuchâtel, qui voteront simultanément, le 27 novembre, sur un salaire minimum cantonal.


A Genève, l'affiche du Mouvement Citoyen Genevois (MCG) affirme: «NON au SMIC à la française qui va faire baisser tous les salaires». L'initiative est également combattue par un, excusez du peu, «Comité contre la baisse des salaires».

A Neuchâtel, les électeurs ont découvert dans leur boîte aux lettres un tract au titre des plus étonnants: «Salaire minimum fixé par l'Etat à 2'500 francs? Non merci, c'est indécent!» Dans ce brûlot «ultra-gauchiste» de la CNCI (Chambre neuchâteloise du commerce et de l’industrie) et de l’UNAM (Union cantonale neuchâteloise des arts et métiers), on lit aussi que le salaire minimum entraîne «une baisse généralisée des salaires». On se demande bien par quelle mystérieuse contagion l'ensemble des rémunérations devrait être tiré vers le bas. Certes, le tract nous apprend qu’en France, lors de l'introduction du SMIC il y a plus de 30 ans, «environ 10% des travailleurs étaient payés à ce niveau-là. Ils sont actuellement plus de 16%.» Pourtant, aucune loi n'empêche les patrons français d'augmenter ces salaires. En revanche, s'ils avaient le droit de les diminuer, on peut supposer que certains utiliseraient cette possibilité. Les pourfendeurs du SMIC se focalisent sur l'exemple français et ne font jamais référence à l'Allemagne, où l'absence de salaire minimum a ouvert la porte aux pires excès, au point que même la très conservatrice CDU d'Angela Merkel est en passe d'introduire un salaire minimum qui devrait se situer autour de 8 euros de l'heure. Dans Le Temps du 31 octobre, on lit que «cinq millions de salariés touchent des salaires dérisoires. Les cas de coiffeuses payées deux euros de l’heure ou de femmes de chambre gagnant un euro par chambre nettoyée dans les hôtels ont défrayé la chronique ces derniers temps, provoquant la colère de l’opinion.» Il serait curieux de savoir ce que la droite à Neuchâtel et à Genève pense d'Angela Merkel. La suspectent-ils, par le plus terrible des machiavélismes, de vouloir introduire le salaire minimum afin de faire baisser les salaires allemands, faisant ainsi de son pays un compétiteur encore plus redoutable pour l'Europe du Sud?

Raphaël Comte bientôt syndicaliste?

Sidéré par une pareille mauvaise foi, nous avons demandé à quelques personnalités de la droite si elles cautionnaient le tract invraisemblable des patrons neuchâtelois. Seuls le conseiller d’Etat Thierry Grosjean et le président de la Ville de Neuchâtel Alain Ribaux ont eu l'intelligence de prendre leurs distances, en affirmant toutefois, sans beaucoup d'arguments, que la propagande de la gauche ne valait pas mieux que celle de la droite. Des réponses d’autres élus, ainsi que de l'analyse des débats au Grand Conseil, il faut tirer la conclusion que la droite neuchâteloise, dans son écrasante majorité, prétend réellement croire à l'abracadabrantesque théorie selon laquelle le salaire minimum représenterait un danger pour le niveau de rémunération des travailleurs. A moins que tous ces gens soient victimes d'une hallucination collective, il faut en déduire qu'il s'agit d'une stratégie délibérément mensongère. Quant au conseiller aux Etats libéral-radical Raphaël Comte, il reconnaît que la situation des travailleurs non couverts par les conventions collectives peut poser problème. Toutefois, il estime que le salaire minimum n'est pas la solution et préconise une meilleure organisation des partenaires sociaux afin que tous les secteurs puissent être conventionnés. On doit donc conseiller vivement aux syndicats de l'engager, lui qui affirme clairement que tout le monde doit bénéficier d'un salaire décent. Peut-être parviendra-t-il à faire augmenter le taux de syndicalisation...

Une négligence bénigne de solidaritéS et de la gauche

Malgré toute la monstruosité du tract patronal, on peut malgré tout, sur un point, lui donner partiellement raison. Il renvoie à un arrêt du Tribunal fédéral selon lequel «le salaire minimum devrait se situer à un niveau relativement bas, proche du revenu minimal résultant des systèmes d'assurance ou d'assistance sociale, sous peine de sortir du cadre de la "politique sociale" pour entrer dans celui de la "politique économique" et, donc, d'être contraire à la liberté économique». Or, la documentation de solidaritéS ne fait pas mention de cet arrêt du Tribunal fédéral, qui annulait l’invalidation par le Grand Conseil genevois de l’initiative pour un salaire minimum déposée dans ce canton par solidaritéS, justement. Bien entendu, les militants de solidaritéS veulent vraiment un salaire minimum à 4’000 francs et leur recommandation de vote va vraiment dans ce sens. Ils ne disent donc pas l'exact inverse de ce qu'ils pensent et leur négligence bénigne n'est pas du tout à mettre sur le même plan que l'hypocrisie patronale. Malgré tout, si la gauche veut vraiment améliorer le niveau de culture politique, il convient de dire toute la vérité aux citoyens, sans faire miroiter des promesses qui ne peuvent être tenues.

09 novembre 2011

Avions de combats: un peu de sérieux svp 2

J'entends depuis vingt ans un argument certes vrai, mais pourtant totalement absurde : les dépenses militaires créent des emplois. En voyant que le Courrier du 8 novembre proposait une interview de Guy Pamerlin concernant les avions de combats, je savais, avant même de lire l'article, que ce non-sens ridicule allait nous être infligé une fois de plus, alors qu'il aurait dû être banni du débat politique depuis des lustres. Je vais vous confier le scoop du siècle, n'oubliez pas de le dire à M.Pamerlin : quand on dépense de l'argent, cela donne du travail. Si je n'attends rien de bien d'un politicien UDC, je suis déçu que les deux journalistes du Courrier, Arnaud Crevoisier et Jérôme Cachin, ne l'aient pas cuisiné un peu plus: "Expliquez-nous donc, M.Pamerlin, pourquoi l'argent dépensé pour l'armement créerait plus d'emplois que la même somme investie dans un autre secteur? Vous dites que dans le cas de l'industrie militaire, il s'agit d'emplois de haut niveau technologique, mais n'êtes-vous vraiment pas au courant que la recherche scientifique manque justement de moyens?"

03 novembre 2011

Contre-vérités au sujet du salaire minimum

J'ai été littéralement stupéfait en lisant l'article de Marc Moulin dans le Temps du 2 novembre. En effet, pour recommander le « non » au salaire minimum, les opposants genevois invoquent les mêmes arguments ahurissants que les organisations patronales neuchâteloises, dont le tract m'avait déjà profondément choqué deux jours auparavant. Rappelons que le même objet passe en votation dans les deux cantons en même temps, le 27 novembre. A Neuchâtel comme à Genève, les opposants tentent de faire croire au public non informé que le salaire minimum pourrait s'appliquer aux travailleurs dont la rémunération est actuellement plus élevée. Il est invraisemblable que certains patrons de notre pays osent proférer de pareilles contre-vérités : le projet prévoit uniquement d'interdire les salaires trop bas. Pour le reste, la liberté de négocier les salaires reste entière et aucune limite vers le haut n'est prévue pour l'instant, pas même pour les grands patrons (espérons que cela sera pour une autre fois). Pourtant, les opposants neuchâtelois comme genevois évoquent des « salaires fixés par l'Etat » et le député PDC Fabiano Forte ose parler de « salaire communiste ». S'il avait lu le Temps du 31 octobre (article de Nathalie Versieux), il saurait que même la CDU allemande (Christlich-demokratische Union, soit l'équivalent du PDC), a pris parti pour le salaire minimum. M.Forte imagine-t-il vraiment qu'Angela Merkel puisse être communiste ?
Lettre de lecteur envoyée au Temps

17 octobre 2011

Bonne nouvelle de Hongrie

Le gouvernement hongrois s'illustre par un nationalisme outrancier assez antipathique. Toutefois, en matière économique, il vient de prendre une des rares décisions raisonnables de l'année en Europe. Il a décidé de soulager, au détriment des banques, ses citoyens de classe moyenne étranglés par leurs dettes. En effet, une vaste majorité des hypothèques de ces dernières années avaient été émises en francs suisses, ce qui permettait aux acquéreurs de logements de payer moins d'intérêts. Le problème, c'est que le franc suisse s'est apprécié fortement par rapport au forint hongrois au cours des dernières années, augmentant d'autant les montants dus aux banques. Par bonheur, une récente loi permet de rembourser les dettes en francs suisses au cours de 180 forints (alors que le franc se situe actuellement aux alentours de 235 forints), soit un rabais de 23% pour des dizaines de milliers de propriétaires de logement. Rappelons que la crise économique actuelle est due, pour l'essentiel, à la mauvaise répartition du pouvoir d'achat, de plus en plus concentré entre les mains de ceux qui n'en ont pas besoin et ne vont donc pas dépenser leur argent, ce qui entraîne une baisse de la demande globale, donc une hausse du chômage et des revenus des Etats. Le sauvetage des banques, loin d'être une mesure de soutien à l'économie, contribue en fait à pérenniser la concentration de la richesse entre les mains des financiers, qui est la cause même de la crise. Il faut donc saluer, enfin, une mesure qui vise à affaiblir l'ennemi plutôt qu'à lui donner des munitions.

13 octobre 2011

Avions de combat : un peu de sérieux s'il vous plaît

On nous sert depuis vingt ans un argument certes vrai, mais pourtant totalement absurde : les dépenses militaires créent des emplois. M.Pierre Castella, patron de Dixi, l'a redit récemment (Impartial et Express du 8 octobre). Je vais vous confier le scoop du siècle, n'oubliez pas de le dire à M.Castella : quand on dépense de l'argent, cela donne du travail. Il faudrait vraiment que la Confédération atteigne des sommets de sottise sans précédent pour qu'il n'en soit pas ainsi. De ce point de vue, peu importe que l'on investisse dans les transports, l'éducation, la santé ou la police. Mon avis est que pour notre sécurité, nous avons surtout besoin d'une nouvelle politique énergétique qui permettrait de fermer Mühleberg (qui me fait bien plus peur que les armées étrangères) ou de sortir de cette dépendance au pétrole qui nous met à la merci des conflits internationaux. Si vous pensez sincèrement que de nouveaux avions sont encore plus importants, je peux respecter votre point de vue. Mais de grâce, cessez une bonne fois pour toute de prétendre que cela va créer plus d'emplois.

21 septembre 2011

De l'autoritarisme en pays de Neuchâtel

Annie Clerc, conseillère communale à La Chaux-de-Fonds, n'a pas avalé que le restaurant social Ekir ose contacter l'Impartial (édition du 2 septembre) pour demander une subvention plus élevée. Dans une lettre du 13 septembre, elle affirme sèchement : « Si une décision de subvention doit être remise en cause, elle devrait l'être par un courrier ou par une demande de rencontre ». Il y a un an (Impartial et Express du 9 juillet), Laurence Aellen, alors cheffe intérimaire du service de l'emploi, n'avait pas supporté les critiques de l'Association de défense des chômeurs parues dans les médias, s'indignant qu'une association subventionnée ose se retourner contre le service qui la subventionne. C'est à se demander si nos autorités ne s'inspirent pas de la philosophie de M.Bernasconi, ancien président de Xamax, qui avait affirmé que ceux qui n'ont pas d'argent devraient « fermer leur gueule ». Si tel est le cas, rappelons-leur que l'argent de l'Etat n'est pas leur propriété personnelle, mais bien celle des citoyens, et que chacun a le droit de porter une question sur la place publique. Rappelons aussi à Mme Clerc que le parti socialiste, qu'elle représente, n'a pas toujours demandé la permission avant de s'exprimer. Tel est également mon cas : j'écris cette lettre à titre strictement personnel, ne faisant pas partie de l'équipe d'Ekir, et j'espère donc que Mme Clerc ne se retournera pas contre eux.

Lettre envoyée à l'Impartial, qui n'a pas voulu la publier.

06 septembre 2011

LIVRE : Myret Zaki, la fin du dollar. Favre 2011

La rédactrice en chef adjointe de Bilan nous démontre de façon convaincante que les jours de l'ère du dollar sont comptés. La situation du billet vert n'est pas rose. Il court un très gros risque d'être fortement dévalué au cours des prochaines années, ce qui signifie que les Etats-Unis vont régler une partie de leurs dettes en monnaie de singe, au grand dam notamment de la Chine et du Japon. S'il est toujours difficile de prévoir l'avenir, le scénario que nous prédit Myret Zaki semble presque inéluctable.

Le déficit américain devrait atteindre 1600 000 000 000 de dollars en 2011, soit 10.9% du PIB. Il semble totalement hors de contrôle actuellement car il paraît impossible que le Congrès décide de prélever de nouveaux impôts. Les Etats-Unis préfèrent s'endetter, même si les autres pays seront de moins en moins disposés à leur prêter de l'argent. Aujourd'hui déjà, la Réserve fédérale américaine est désormais le plus gros détenteur de bons du trésor américain, devant la Chine. Autrement dit, l'argent que l'Etat américain ne parvient plus à emprunter lui est fourni à coup de planche à billet.

Une telle politique ne peut déboucher que sur une importante inflation, que la méthode actuelle de calcul sous-estime largement. Il semblerait que si on avait calculé l'inflation de 2010 avec la méthode de 1980, elle aurait été de 8.54% au lieu des 1.14% officiels (p.85). Ce chiffre biaisé entraîne mécaniquement une surestimation de la croissance économique. Cela est d'autant plus grave que le pays a perdu le quart de ses emplois industriels au cours des années Bush (p.93). D'autre part, le chômage serait également largement sous-estimé.

Le dollar ne doit sa position de principale devise mondiale qu'à l'absence d'alternative, à cause notamment du discrédit actuel de l'euro, discrédit non fondé selon Myret Zaki. Elle dénonce « les attaques permanentes depuis le début de l'euro », qui relèveraient selon elle d'une stratégie des milieux financiers et des médias anglo-saxons, qui craignent qu'un euro trop fort représente une concurrence fatale pour le dollar. Ainsi, les attaques contre l'euro au début de 2011 auraient entraîné une ruée vers le dollar.

Toutefois, cette situation ne saurait durer. Il suffirait que les taux d'intérêts, très bas ces dernières années, remontent, pour que le service de la dette américaine devienne gigantesque. Une crise de confiance sur le dollar peut survenir d'un instant à l'autre et surviendra tôt ou tard. Si on en croit Myret Zaki, les dirigeants chinois et européens, conscients de cette situation, réfléchiraient déjà à la réorganisation du système monétaire mondial qui s'avérera alors nécessaire.

Les qualité du livre n'obligent pas, bien entendu, le lecteur à partager l'idéologie économique de Myret Zaki, qui pourfend le keynésianisme et ne semble même pas avoir entendu parler du socialisme. Elle oublie que l'inflation est en principe un jeu à somme nulle et considère que la stabilité monétaire justifie les pires politiques de rigueur. Toutefois, ce point de vue excessif fait de Myret Zaki une excellente critique de l'excès inverse qu'est l'abus de la planche à billet.

31 août 2011

La BNS et ses déficits. (écrit pour le journal La Liberté).

L'être humain a la fâcheuse tendance à confondre les créations de son esprit avec la réalité. Ce n'est nulle part plus vrai qu'en comptabilité, où un raisonnement purement mécanique peut amener à des conclusions abracadabrantesques. Toute la Suisse s'est persuadée, à tort, que la Banque nationale a perdu de l'argent à cause de la baisse de l'euro. Rappelons qu'en 2010, la BNS a acquis de gigantesques quantité de devises étrangères, au point que ses réserves ont presque doublé. Actuellement, ces réserves, principalement constituées d'euros (55% du total), de dollars (25% du total) et de yens (10% du total), représentent à peu près 200 milliards de francs suisses, montant qui varie en fonction du taux de change. Or, depuis janvier 2010, l'euro a perdu 22% de sa valeur par rapport au franc, et l'euro 22%. A cause des ces baisses, la BNS a vu fondre la valeur de ses réserves de devises, exprimée en francs suisses, et aurait « perdu » la somme gigantesque de 44 milliards de francs. Pourtant, cette perte n'est qu'une question de point de vue et n'existerait tout simplement pas si la BNS tenait sa comptabilité en dollars, principale monnaie mondiale, ou en euros, monnaies de nos principaux partenaires commerciaux. La BNS aurait même constaté une énorme plus-value de son stock d'or (actuellement aux alentours de 40 milliards de francs), car le métal jaune a gagné plus de 50% face à l'euro et au dollar depuis janvier 2010. Ceci étant établi, la question est la suivante : la quelle des deux méthodes de comptabilité est-elle la plus sensée ? Il me semble quant à moi que la question est vite décidée. Si cet article vous fait sauter en l'air, sachez bien que c'est vous qui montez et non le sol qui descend. De même, c'est bien notre petit franc suisse qui est monté et non les grandes monnaies de référence de l'économie mondiale qui ont baissé. Il serait temps que les dirigeants de la BNS s'en rendent compte et redistribuent une partie de leurs bénéfices aux cantons, comme l'an dernier, au moment ou l'économie s'achemine probablement vers la récession et a un grand besoin d'investissements.

SOURCES
Le rapport de la BNS au 30 juin est accessible à partir d'un article du Temps :
http://ww.w.letemps.ch/Page/Uuid/233efe84-b9a7-11e0-851d-ec67c3f3ac80|1

Pour l'historique des taux de change :
http://www.oanda.com/lang/fr/currency/historical-rates/

Pour la composition des réserves de change de la BNS :
http://www.snb.ch/fr/iabout/assets/id/assets_reserves

Pour le bilan 2009 de la BNS
http://www.snb.ch/fr/iabout/snb/annacc/id/snb_annac_balance

Pour le cours de l'or
http://www.cpordevises.com/or/cotations/cours-or-pays/06-2011/


PS, j'aurais aimé pourvoir fournir des chiffres plus précis. Mais la comptabilité fournie par la BNS sur son site est peu claire. En effet, on y trouve uniquement le montant des réserves exprimé en francs suisses et il est impossible de suivre avec précision le stock d'euros (exprimé en euros), le stock de dollars (exprimé en dollars) et le stock d'or (exprimé en or) comme j'aurais aimé le faire. Voilà qui illustre à merveille le propos exprimé dans mon texte.

29 août 2011

Le déficit mythique de la BNS

Les pertes de la BNS défraient la chronique. On annonce qu'elle ne pourra pas reverser de l'argent aux cantons, ses réserves en euros ayant perdu de la valeur. La BNS évite également d'acheter des euros, par peur que ceux-ci baissent, ce qui lui avait, dit-on, fait subir des pertes l'an dernier. Pourtant, une question élémentaire vient à l'esprit : est-ce bien l'euro qui a baissé ou bien le franc qui est monté ? Y a-t-il une raison sérieuse de tenir la comptabilité de la BNS en francs suisses, plutôt qu'en dollars, monnaie internationale de référence, ou en euros, monnaie de nos plus important partenaires commerciaux, voire en or ou en fonction d'un panier de matières premières? Si on procédait selon l'une de ces méthodes, on arriverait certainement à la conclusion que la BNS n'a rien perdu du tout. Or, compte tenu de la taille de notre économie par rapport au reste du monde, considérer que notre devise est la mesure de toutes choses revient à faire tourner le soleil autour de la terre. Rappelons que les réserves de la BNS servent avant tout à garantir la force du franc suisse par rapport aux devises étrangères et qu'elle n'en a donc pas besoin pour l'instant. En imaginant qu'un jour, sans doute lointain, la BNS doive intervenir contre un franc trop bas, alors ses réserves auront repris toute leur valeur.

Chagaev l'affable

Le rêve de Xamax

Imaginons un instant que Xamax soit premier du championnat suisse et que son propriétaire Bulat Chagaev soit un type affable offrant des fleurs à ses joueurs après chaque match, quel que soit le résultat. Imaginons aussi que sa fortune ait été acquise de manière parfaitement légitime (quoique je peine à croire qu'on puisse devenir milliardaire en étant vraiment honnête). Eh bien, même si tout cela était vrai, je trouverais quand même toute cette histoire profondément pathétique. Il est consternant que M.Chagaev soit dépourvu de toute idée intelligente pour utiliser son argent. Alors qu'il pourrait financer des hôpitaux dans son pays, aider les plus pauvres ou promouvoir les énergies renouvelables, il préfère se payer un joujou bling-bling pour se faire reluire l'ego et promouvoir son image de marque. Par bonheur, il ne s'y est pas très bien pris. Cela nous évitera le spectacle consternant des fans criant « on est les meilleurs » simplement parce que leur club à plus d'argent que les autres.

23 juillet 2011

La Grèce ou les banques: qui sauve-t-on?

En grec, «langue de bois » pourrait se traduire par « xyloglossie ». C'est ce que pratique largement la presse en ânonnant que les dirigeants européens se sont mis d'accord, jeudi 21 juillet, pour « sauver la Grèce ». En réalité, on va continuer à imposer à ce pays une politique d'austérité qui va bloquer son économie pour de longues années. Ce qu'on a sauvé, c'est une fois de plus les banques, qui, grâce à la générosité des contribuables européens, ne vont perdre que 20% de l'argent qu'elles avaient prêté à la Grèce et que ce pays ne peut pas rembourser. Quel beau métier que banquier: encaissez les bénéfices quand vous faites de bonnes affaires et faites vous indemniser par l'Etat quand vous en faites de mauvaises!

06 juillet 2011

Entre Mark Muller et son proprio, choisissons le peuple !

On se scandalise que le magistrat genevois Mark Muller ne paie que 2000 francs pour un sept pièces au centre de Genève, loyer qui serait pourtant normal dans d’autres régions du pays. Voilà qui met en lumière le décalage entre deux façons d’estimer le « juste prix » d’un logement : d’un côté, le coût de la construction de l’immeuble et de l’achat du terrain à l’époque ; de l’autre, le jeu de l’offre et de la demande. La différence entre les deux est à la source d’importants profits immérités pour les investisseurs de l’immobilier, même dans une ville comme la Chaux-de-Fonds, réputée pour ses bas loyers. Comparez maintenant les loyers de Genève et de La Chaux-de-Fonds : la différence correspond à un surprofit de plusieurs milliers de francs par locataire. Ce sont ces sommes gigantesques, astronomiques et invraisemblables que les spéculateurs genevois se sont mis et continuent à se mettre dans la poche au cours des ans, que ce soit en encaissant des loyers ou en revendant avec profits, au fil des ans, terrains et immeubles.

On sait que le blocage des prix engendre souvent des files d’attentes, comme celles, proverbiales, des pays autrefois « communistes » d’Europe de l’Est. De même, bloquer les loyers encourage les gens à s’accrocher à leurs logements, même trop grands, et contribue ainsi à aggraver la pénurie. Il n’est donc pas forcément idiot d’adapter les loyers au jeu de l’offre et de la demande. Mark Muller n’a pas vraiment tort de penser que son propre loyer est trop bon marché. Pourtant, nul ne prétend que le propriétaire du logement en question perd de l’argent. Voudrait-on vraiment qu’il encaisse 20 000 francs de loyer en plus par année, sans lever le petit doigt ?

Entre privilégier Mark Muller ou son propriétaire, je préfère quant à moi que l’argent soit rendu à la population. Qu’on adapte la législation pour que dans tous les cas semblables, l’Etat encaisse la différence entre prix coûtant du logement et prix du marché! Cette manne pourrait, entre autres choses, être redistribuée sous forme d’aide au logement ciblée pour ceux qui en ont besoin, dont Mark Muller ne fait à l’évidence pas partie.

22 mai 2011

Conseil de la presse: une prise de position peu sérieuse.

En date du 13 décembre 2010, j'ai déposé une plainte auprès du Conseil suisse de la Presse. Celui-ci vient de publier sa prise de position. Par la présente, je fais connaître ma profonde déception au sujet du manque de sérieux du Conseil.

Pour rappel, l'initiative populaire socialiste "pour des impôts équitables", rejetée en votation le 28 novembre, prévoyait que les cantons aient l'obligation de prélever un impôt de 22% minimum sur les tranches de revenu supérieures à 250 000 francs. Par exemple, sur un revenu de 260 000 francs, seuls les 10 000 francs dépassant la limite auraient été soumis à ce taux minimal.

Cela n'est pas vraiment compliqué, mais dans un article du 13 octobre 2010, un article d'Emmanuel Garessus publié dans le Temps présentait une interprétation erronée de l'initiative, affirmant qu'un revenu de 250 000 francs serait imposé à 22% au minimum dans tous les cantons. Le Temps a finalement publié un minuscule rectificatif, après que je l'ai demandé avec insistance à 4 reprises.

Il était un peu décevant que la vérité ait fait l'objet d'une toute petite note alors que l'erreur avait figuré dans un article qu'il était difficile de rater, compte tenu de son titre virulent, qui qualifiait l'initiative socialiste de danger pour notre pays. C'est pourquoi j'avais donné une large publicité au rectificatif du Temps, dans un article envoyé à la presse suisse romande et qu'on peut encore lire sur Domaine public ("le Temps admet enfin son erreur").

En réaction, M.Pierre Veya, rédacteur en chef du Temps, m'écrivit une lettre virulente voire insultante, m'accusant de manque de déontologie. Pourtant, ce donneur de leçon ne s'est pas formalisé que la même erreur réapparaisse une nouvelle fois dans les colonnes de son journal, en date du 18 novembre. Dans un texte de MM.Blankart et Meyer, pourtant économistes bardés de distinctions, on pouvait lire que "un contribuable dont le revenu annuel augmenterait de 20 francs, par exemple de 249'990 à 250'010 francs, serait pénalisé sérieusement".

J'ai donc demandé au Temps la publication d'un nouveau rectificatif, ce qu'il n'a pas fait, préférant publier sans m'en informer un fragment du courriel que j'avais envoyé, ainsi qu'une lettre de lecteur du Conseiller national Roger Nordmann. Comme le reconnaît le Conseil de la presse, le message d'un lecteur à évidemment beaucoup moins de poids qu'un rectificatif de la rédaction. En effet, dans le premier cas, le lecteur peut s'imaginer qu'il existe deux opinions également valables et ne pas savoir quelle est la bonne. Alors que si la rédaction admet elle même avoir tort, aucun doute n'est plus permis. J'estime donc qu'il est tout à fait scandaleux que le Temps n'ait pas voulu reconnaître publiquement que l'article de MM. Blankart et Meyer contenait une erreur aussi grossière que s'ils avaient affirmé que la Terre est plate. Il n'y a aucune marge d'interprétation. Le but principal de ma plainte au Conseil de la presse était de faire établir ce fait crucial.

En déposant une plainte, je m'attendais donc à ce que le Conseil se penche sur cette première question, qui était la plus importante: le Temps avait-il oui ou non publié une contre-vérité? A ma grande surprise, la prise de position ne confirme ni ne nie ce fait. Au point C, il est écrit que "Christophe Schouwey, nie de son côté, que l'initiative socialiste ménerait à un saut d'opposition". Au point 2 des considérants, il est écrit que "Ceux qui ont suivi le débat ... ont été bel et bien en mesure de se former leur propre opinion à ce sujet". Au point B, on peut lire que "Selon Nordmann les deux économistes confondent le taux moyen et le taux marginal d'imposition". En conclusion, il est écrit, au sujet des corrections apportées par M.Nordmann et moi-même que le Temps a bien voulu publier, que celles-ci "précisent un propos contenu dans l'article" du Temps.

Bref, le Conseil de la presse donne l'impression de ne pas savoir clairement si le Temps s'est trompé ou pas. En refusant de prendre position sur le point essentiel du litige, le Conseil s'est en quelque sorte récusé. En effet, comment peut-il, sans avoir établi que le Temps a commis une erreur, décider sérieusement si la publication d'un rectificatif était nécessaire ou pas? Face à ce refus de prise de position tout à fait extravagant, je suis réduit à des hypothèses qui ne le sont pas moins.

1. Cela paraît vraiment gros, mais j'en arrive à me demander si les auteurs de la décision ont une notion claire de la distinction entre des faits clairement établis et une simple interprétation. Le refus de prendre position tend à faire croire que les auteurs de la décision sont des tenants de cette philosophie relativiste à la mode qui remet en cause la notion même de vérité, partant du principe qu'il est toujours possible de faire plusieurs interprétations.

2. Ma deuxième hypothèse serait que les auteurs de la décision manquent des compétences pour se prononcer sur le fond. Il existe de brillants esprits dépourvus de toute fibre mathématique et incapables du calcul le plus élémentaire.

3. La troisième hypothèse, qui me paraît la plus probable, est que les auteurs de la décision ont voulu éviter de se mouiller, craignant de contredire des économistes et/ou ne voulant pas se mettre à dos la rédaction du Temps. Si tel est le cas, c'est très grave. On peut vraiment se demander à quoi sert un Conseil de la presse qui a peur de prendre des positions qui dérangent. A titre de complément au débat, je rappelle que le journaliste Francois Nussbaum avait publié, dans les colonnes de l'Express, la Liberté et l'Impartial, un article qui contenait la même erreur que celle de MM.Garessus, Blankart et Meyer. Toutefois, l'erreur n'était pas le fait du journaliste, mais de Bernard Dafflon, professeur d'économie à Fribourg, que Francoois Nussbaum avait interviewé. Quelques jours plus tard, un nouvel article de M.Nussbaum présentait une explication correcte de l'initiative. Toutefois, l'article de précisait pas qu'une erreur avait été commise dans l'article précédent, laissant ainsi les lecteurs non-informés dans une certaine perplexité. Pourquoi donc est-il si difficile pour les journalistes de dire, tout simplement, "je me suis trompé" ou bien "cette personne s'est trompé"? L'ensemble de la presse gagnerait en crédibilité si les journalistes faisaient preuve d'un peu plus de transparence au sujet de leurs erreurs et de celles des personnes à qui ils donnent la parole.

Deuxième question: Un rectificatif était-il nécessaire?

Au point 2 des considérants, on peut lire que "Le Temps avait déjà publié une rectification antérieure sur le même sujet". Comme il est impossible de rectifier une information correcte, je suis amené à en déduire que le Conseil de la presse, malgré tout et malgré lui, admet tout de même du bout des lèvres que le Temps a publié une contre-vérité. Si tel n'était pas le cas, le Conseil ne se serait d'ailleurs même pas penché sur la deuxième question qu'il avait à traiter: le Temps avait-il le devoir de publier un rectificatif? Si j'analyse correctement la position du Conseil, pas toujours claire, celui-ci répond par la négative pour trois raisons, que je cite par ordre de sérieux croissant:

1. Le premier argument ne mérite d'être cité que pour ses qualités comiques, tant il est ridicule. "Le Temps avait déjà publié une rectification antérieure concernant le même sujet" (à la suite du premier article du Temps, celui de M.Garessus). Ainsi, lorsque qu'on se trompe et qu'on avoue d'être trompé avant de refaire la même erreur, il n'est nul besoin de rougir de honte. Les rectificatifs sont à usages multiples. Il suffit de dire une fois qu'on a fait faux et on a ensuite le droit d'énoncer des contre-vérités ad vitam aeternam. La récidive, loin d'être une circonstance aggravante, est une excuse. Est-ce vraiment-là l'opinion du Conseil de la presse?

2. Selon le Conseil de la presse, le Temps aurait publié deux lettres de lecteurs qui "précisaient" le propos du Temps, dont l'une de ma plume. S'il est bien exact que l'excellente lettre de M.Nordmann est parue, je n'ai quant à moi pas envoyé de lettre destinée à être publiée. J'ai envoyé un message à M.Veya pour exiger la publication d'un rectificatif. Un fragment de ce message a été publié par le Temps. Qualifier ce fragment de "lettre de lecteur" est abusif. Quoiqu'il en soit, comme je l'ai dit plus haut, le Temps aurait dû admettre qu'il s'était trompé et non simplement publier les écrits des personnes défendant la vérité, comme s'il s'était agit d'une simple divergence d'opinion. Je persiste à dire qu'en agissant de la sorte, il a violé le chiffre 5 de la Déclaration des droits et devoirs du journaliste, qui oblige ceux-ci à "rectifier toute information publiée qui se révèle matériellement inexacte". Imaginons un instant qu'un citoyen soit accusé d'avoir commis un vol par un journal, puis que l'information se révèle fausse. Il serait totalement absurde que le journal, plutôt que de se rétracter, se contente de publier un message de l'accusé clamant son innocence. Dans l'affaire qui nous occupe, le Temps a publié une info erronnée au sujet d'une initiative fédérale, puis s'est contenté de publier les protestations de partisans de l'initiative en question. En disculpant le Temps, le Conseil crée un précédent extrêmement grave.

3. Le Conseil de la presse affirme que le texte contesté est reconnaissable comme une opinion d'auteurs extérieurs à la rédaction. Voilà le seul argument qui ne soit pas absurde. Je conçois tout à fait qu'il est difficile, pour un rédacteur en chef, de réprimander des rédacteurs "invités", surtout lorsque ceux-ci sont de prestigieux économistes, pris en flagrant délit d'avoir commis une erreur grossière et de bas niveau. Je ne suis pas surpris que le Conseil ait débouté ma plainte sur cette base (alors que je suis proprement stupéfié et consterné par les points 1 et 2 ci-dessus). Toutefois, j'estime que le Temps avait malgré tout le devoir de corriger ses invités, MM. Blankart et Meyer. En effet, ceux-ci étaient présentés comme des experts, bardés de distinction, dont le public serait en droit d'attendre un minimum de sérieux. Lorsque des personnes bénéficiant d'un statut social pareillement prestigieux pratiquent la désinformation au sujet d'une initiative fédérale en pleine campagne de votation, il est grave que le Temps leur donne son appui par son silence. On peut là aussi se demander si le Conseil de la presse ne crée pas un précédent dangereux. Ainsi, à chaque fois qu'un journal souhaitera pratiquer la désinformation, il lui suffira de recruter des invités n'étant soumis à aucune règle de déontologie.

J'ai évoqué plus haut le cas de Bernard Dafflon, autre professeur d'économie, ayant commis la même erreur grossière que MM.Blankart et Meyer. A ce sujet, M.Pierre Veya m'a accusé de porter atteinte à la probité de M.Dafflon, affirmant que celui-ci avait été mal compris par le journaliste François Nussbaum. MM.Blankart et Meyer ne pouvant avoir été mal compris, étant eux-mêmes auteurs de leur texte, M.Veya devrait donc, s'il est conséquent avec lui-même, les accuser de manquer de probité. Pourtant, il s'est refusé à admettre dans les colonnes du Temps qu'ils s'étaient trompés. On peut éventuellement admettre qu'une rédaction n'est pas dans l'obligation de corriger les erreurs de ses rédacteurs invités, même grossières. Mais il est certain que le Temps ne sort vraiment pas grandi de cette affaire, pas plus d'ailleurs, que le Conseil de la Presse.

12 avril 2011

Contrats-prisons: pour une loi libératrice

S’il est un principe central de notre société, c’est bien la libre concurrence, qui implique le libre choix du consommateur. Pourtant, il est dans la logique même des entreprises d’essayer de limiter cette liberté. Prenons l’exemple des contrats de téléphone et de radio-télévision, qui prévoient très souvent un renouvellement automatique d’un an, voire même deux, si le contrat n’est pas résilié à temps, avec un préavis de trois mois. Ce fil attaché à la patte de l’abonné n’a qu’une seule «justification»: l’empêcher de faire marcher la concurrence.

La suite à lire gratuitement sur "Domaine public"

11 avril 2011

Une vérité pas toujours vraie

"Tous les pays, y compris les pays pauvres, ont intérêt à abolir les barrières douanières". C'est ce que nous affirme péremptoirement Ram Etwareea dans son édito du 30 mars, en première page du Temps. Certes, le commerce, en principe, est créateur de richesses. Chaque partenaire se séparant de ce qu'il a en trop en échange de ce dont il manque, tout le monde, normalement, devrait en profiter. Pourtant, ce principe n'est pas toujours valable, notamment dans le cas d'échanges entre pays. Il arrive souvent que seuls certains habitants en bénéficient alors que la majorité y perd. Par exemple, l'afflux de produits bon marché, bien que profitable aux consommateurs dans l'immédiat, peut détruire des secteurs industriels entiers, alors que leur seul tort est d'avoir un léger retard technologique sur la concurrence internationale. Le commerce peut également favoriser les pays où l'environnement et les travailleurs sont les moins protégés, car c'est souvent là que les entreprises font le plus de profit. Je ne doute pas que M.Etwareea sache tout cela car, pour autant que je sache, tous les défenseurs du libre-échange admettent qu'il y a des exceptions. Autrement dit, le commerce n'est pas toujours bénéfique et certaines barrières douanières sont utiles. Il serait donc souhaitable que M.Etwareea et ses confrères en idéologie cessent d'asséner urbi et orbi, sans les nuances qui s'imposent, une vérité qui n'en est pas toujours une.


Peut-être publié dans le Temps ????????????????

10 avril 2011

Commerce et transferts sociaux: qu'est-ce que la richesse?

Il est courant d'entendre dire que seul le travail crée de la richesse, comme l'affirmait d'ailleurs un certain Karl Marx. Pourtant, il paraît difficile de nier le rôle des échanges, ainsi que du commerce, qui n'en est qu'un forme un peu plus compliquée. Après une transaction où je me sépare de que j'ai en trop pour recevoir ce dont je manque, mes conditions de vie matérielles se sont améliorées. Autrement dit, je suis plus riche, car la seule mesure valable de la richesse matérielle est l'utilité qu'ont pour nous les choses auxquelles nous avons accès. A priori, mon partenaire s'est également enrichi, car s'il a accepté l'échange, c'est en principe parce qu'il avait quelque chose à y gagner. Le commerce est donc un travail créateur de richesses comme les autres, qui consiste à rendre possible des échanges entre personnes ne se connaissant pas entre elles. Cela était déjà vrai il y a des milliers d'années, lorsque des outils, des bijoux ou des ressources minérales ont commencé à circuler sur de grandes distances. Cela est encore plus vrai de nos jours, car notre mode de vie moderne serait impossible sans la spécialisation internationale du travail. Il est bien évident que le commerce est souvent inégal, donne lieu à d'innombrables abus et a souvent des effets pervers. Il n'en demeure pas moins qu'il représente une source de richesse.
Imaginons par exemple l'échange suivant:
1. Le pays A fournit des médicaments au pays B qui ne sait pas les produire.
2. Le pays B fournit du pétrole au pays A qui n'en a pas.
Tout économiste vous expliquera qu'en règle générale, le pétrole est plus utile dans le pays B, où on en manque (sinon on en importerait pas), que dans le pays A, qui en a plus que nécessaire (sinon il ne l'exporterait pas). Le pétrole augmente donc de valeur en changeant de pays. Il en va évidemment de même pour les médicaments, car les pays producteurs sont en général capables d'en fabriquer au-delà de leurs besoins. L'échange commercial est donc doublement producteur de richesse. Ce n'est pas un jeu à somme nulle, mais un jeu gagnant-gagnant.
Bien que les économistes soient coutumiers de telles démonstrations, ils oublient en général d'en tirer une conclusion qui devrait pourtant être évidente: si les points 1 et 2 sont vrais, alors le point 1, même pris tout seul, est vrai. Autrement dit, dès que le pays A fournit des médicaments au pays B, il y a création de richesse, que le pays B donne pas du pétrole en échange ou pas.
En fait, le raisonnement peut être étendu à tous les cas où le nouveau propriétaire d'un bien en a un usage plus grand que l'ancien propriétaire. Par exemple, chacun sait qu'au delà d'un certain point, l'argent n'apporte plus aucun bien-être supplémentaire, alors qu'il peut considérablement améliorer la vie des plus pauvres. Un prélèvement fiscal sur les très hauts revenus, servant à financer des mesures profitant au gens les plus démunis, est donc un moyen très simple de créer de la richesse, au même titre que le commerce et exactement pour la même raison.

Non publié pour l'instant

21 mars 2011

Robin des Bois face à la fraude fiscale



Imaginons que la police, après avoir saisi le butin d'un cambriolage, découvre par hasard que X a commis un meurtre ou un viol. Doit-on renoncer à poursuivre le criminel sous prétexte que les preuves sont arrivée entre les mains des autorités à la suite d'un vol? J'aimerais bien qu'on pose cette question à tous ceux qui se scandalisent que de l'utilisation de documents volés par des tiers pour poursuivre les fraudeurs du fisc. Même s'il existe bien des crimes plus graves que la fraude fiscale, il n'en demeure pas moins que celle-ci représente un grave danger pour la cohésion de nos sociétés, privant l'Etat de ressources plus que jamais indispensables pour une multitude de tâches, comme par exemple le financement d'une révolution énergétique rendue plus urgente que jamais par la récente catastrophe nucléaire. Il n'est pas absurde de se demander si la fraude fiscale ne menace pas la survie de l'humanité. Il est donc tout à fait regrettable que le Matin Dimanche du 20 mars prenne la défense des fraudeurs et se désole que les autorité de divers pays se soient retrouvées en possession de documents qui leur permettront d'appliquer la loi. Le vrai scandale en l'occurence, c'est le labyrinthe juridique et bancaire international qui permet aux fraudeurs, surtout les plus riches d'entre eux, de cacher leur argent à l'étranger. Une riposte à la Robin des Bois est donc loin d'être injustifiée. Que les légalistes qui s'en offusquent fassent preuve de la même indignation envers les fraudeurs!

14 mars 2011

Ping Pong nucléaire

Face à l'inquiétude que soulèvent actuellement les centrales nucléaires, le Temps du 14 mars rapporte en page 3 les propos du président de la commission de l'énergie au Conseil national,le libéral-radical Jacques Bourgeois: "Nous devons rappeler qu'en Suisse des contrôles annuels sont effectués". Manque de chance, dans la même édition du Temps, juste en face, en page 2, on apprend que, comme on s'en doutait un peu, "l'Agence internationale de l'énergie atomique évalue les centrales japonaises tous les ans depuis 30 ans". Non, M.Bourgeois, nous ne sommes pas pleinement rassurés par vos contrôles.
Même jour, même page, juste à côté des propos de M.Bourgeois, on est secoué par la chancelière Angela Merkel, qui affirme que "l'Europe n'est pas exposée à la menace sismique". Et à nouveau juste en face, page 2, on peut lire qu'à Bâle, à la frontière sud de l'Allemagne, il y a eu un séisme de force 7 il y a 600 ans, comme le savaient d'ailleurs déjà de nombreux lecteurs.
Merci au Temps de nous offrir ce merveilleux match de ping-pong, qui illustre si bien l'inconséquence et l'aveuglement collectif des partisans du nucléaire. Oui, pour notre société, sortir de cette forme d'énergie mortifère sera aussi douloureux qu'un sevrage de toxicomane. Oui, cela coûtera très cher, mais certainement pas plus que notre armée, alors qu'il s'agit là de nous protéger d'un risque bien plus probable qu'une invasion étrangère.


On m'a dit que c'était passé dans le Temps