Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

19 novembre 2007

Des congressistes résolus

« En l’état le budget 2007 est inacceptable », estiment les 31 militants qui ont participé dimanche dernier au Congrès du POP neuchâtelois à la Maison du Peuple de La Chaux-de-Fonds. Bien que des divergences soient apparues sur la question de savoir si le Parti socialiste neuchâtelois était ou non « ultra-libéral », personne n’est content de la politique actuelle du Conseil d’Etat. La première majorité « de gauche » de l’histoire du Canton a amèrement déçu. Jean-Pierre Renk, venu représenter nos alliés de Solidarité, a même parlé de « trahison ».

Bien que le budget 2007, à la faveur d’une conjoncture économique favorable, s’annonce « moins pire » que celui de 2006, il reste en deçà de celui de 2005, le dernier voté par la défunte majorité libérale-radicale. Par exemple, l’aide sociale, qui était inférieure aux recommandations fédérales en 2006, serait remise au niveau de ces dernières, mais ne retrouverait malgré tout pas le niveau qui était le sien à l’époque de la droite.

Cette politique du « demi-retour », ce « cran en moins à la ceinture », que le Conseil d’Etat veut appliquer également aux prestations complémentaires et aux subsides de l’assurance-maladie, est inacceptable pour le POP, qui exige le « retour à la situation qui prévalait en 2005 ». Il en fait « une condition minimum pour accepter le budget 2007 ». D’autant plus que le seul sacrifice qui était demandé aux riches en 2006, l’impôt sur la fortune, sera supprimé en 2007. Les députés popistes présents se sont donc déclarés résolus à refuser le budget si nécessaire et à ne pas répéter leur erreur de l’an dernier, où ils avaient accepté un budget catastrophique qui a entraîné des pertes de pouvoir d’achat de plusieurs milliers de francs pour de nombreux ménages.

« L’an dernier, nous avons été pris de cours et nous n’avons pas osé refuser le budget six mois seulement après le changement de majorité, de peur que le PS s’allie avec la droite », nous a expliqué Laurence Boegli. Mais cela s’est révélé plus catastrophique que ce que le POP croyait. Plusieurs camarades étaient d’avis que nous nous sommes fait rouler par le « marchand de tapis » Jean Studer. Ce dernier espère sans doute maintenant, après avoir plongé notre tête sous l’eau en 2006, obtenir notre reconnaissance en nous laissant respirer une petite bouffée d’air en 2007. Nous devons donc nous méfier des « presque » et des « petits caractères dans le contrat », de la part d’un gouvernement qui est souvent à « gauche dans le discours et à droite dans les faits ».

Le POP se retrouve ainsi dans la situation un peu gênante de devoir refuser un budget 2007 pourtant « moins pire » que celui qu’il avait accepté pour 2006. Il est donc important qu’il admette publiquement qu’il a commis une erreur à l’époque, ce qu’ont déjà fait certains députés. On se plaira à constater que personne n’a cédé à la facilité de leur faire des reproches à ce sujet, ce qui est révélateur de la bonne ambiance qui a régné samedi après-midi.

Des privatisations rampantes
Si les prestations sociales destinées aux plus démunis ont été au centre des débats, les sujets de mécontentement ont été innombrables. Qu’on pense à l’école, où le gouvernement ne se pas contente d’augmenter le nombre d’élèves par classe, mais s’attaque également aux classes spéciales destinées aux élèves maîtrisant mal le français. Il a même privé les élèves des degrés 6 et 7 de psychologues scolaires. Les militants ont également été choqué par le projet de « salaire au mérite » pour les pensionnaires des EMS, l’idée étant que ceux d’entre eux qui sont trop malades pour profiter de leur argent de poche ne le recevrait plus.
Dans sa déclaration finale, le Congrès a notamment dénoncé « les privatisations rampantes de plusieurs tâches essentielles de l’Etat », telles que les hôpitaux, les soins à domiciles, la psychiatrie ou les institutions spécialisées. Il s’est également inquiété des disparités de plus en plus grande entre les différentes régions du Canton, et en particulier des rumeurs de démantèlement de services dans les hôpitaux du Locle, de La Chaux-de-Fonds et de Couvet.

Vers un scénario inédit ?
Quelques militants ont profité de la présence de vieux routards de la politique pour leur demander ce qui se passerait si le budget ne passait pas la rampe du Grand Conseil, hypothèse qui se réaliserait si et la droite et le POP votaient « non ». La réponse est que dans le cas où aucun budget n’était adopté avant le 1er janvier 2007, le catastrophique budget 2006 serait reconduit mois par mois jusqu’à ce qu’éventuellement les députés parviennent à se mettre d’accord sur autre chose.
Il importe que les militants du POP se mettent dès maintenant à réfléchir aux stratégies à adopter dans un tel scénario, loin d’être improbable bien qu’inédit dans le canton.

11 novembre 2007

Comment éclairer un pays opaque ?

Une fois de plus, Sébastien Guex, invité par ATTAC à la Maison du Peuple de La Chaux-de-Fonds, n’a pas laissé ses auditeurs indifférents. Le professeur-assistant de l’Université de Lausanne a le rare talent d’exposer des thèmes ardus en mots simples et passionnants, mettant ainsi un peu de lumière sur ce pays extrêmement opaque qu’est la Suisse.
On ne peut que regretter que sa conférence n’ait été suivie que par le cercle des enthousiastes habituels, soit à peine une trentaine de personne. Il serait peut-être judicieux, à l’avenir, d’inviter cet orateur percutant à débattre avec une personnalité de droite, afin que ses idées atteignent un auditoire plus large.
Le principal enseignement qu’on peut tirer de la soirée est l’incroyable richesse de la bourgeoisie suisse. Cela ne semble pas être un scoop. Pourtant, qui dans l’auditoire savait que depuis 26 ans consécutifs, la Suisse, fait peut-être unique au monde, a un excédent de balance courante ? En langage claire, cela veut dire que chaque année, il y a plus d’argent qui rentre dans le pays que d’argent qui en sort, si on prend en compte à la fois le payement des biens et des services et les intérêts des capitaux.
Il est assez impressionnant qu’au cours de cette période de fantastique accumulation de capital, on ait réussi à populariser l’image d’une Suisse affaiblie et en crise, notamment grâce aux fameux 130 milliards de dettes de la Confédération, qu’on nous sert matin midi et soir, alors même qu’en réalité il sont largement compensés par la fortune colossale de la Banque nationale.
La richesse des entreprises, est également largement sous-estimées. Ainsi, un historien qui a eu la chance d’accéder aux archives SBS de l’entre-deux-guerres est arrivé à la conclusion que les bénéfices déclarés étaient de 80% inférieurs aux véritables chiffres. Des conclusions semblables ont été obtenues pour trois autres entreprises, et tout laisse penser que ce genre de pratiques est encore florissant de nos jours.
A l’issue de la conférence, on ne peut que se demander comment faire suffisamment peur à la bourgeoisie pour qu’elle redistribue une partie de sa phénoménale richesse. Ne négligeons pas la vulgarisation de certaines données de nature à soulever l’indignation du public, comme le fameux 1% d’impôt sur le bénéfice payés effectivement par les entreprises dans le Canton de Neuchâtel, chiffre que le gouvernement neuchâtelois a été obligé d’admettre grâce au brillant travail d’ATTAC.
Cet exemple est à suivre et on ne peut qu’encourager les militants à tout faire pour mieux connaître et faire connaître la situation de leurs cantons respectifs, autant en ce qui concerne la fiscalité des entreprises que de la véritable situation financière des collectivité publiques, dont la comptabilité n’est peut-être pas toujours présentée d’une manière digne de confiance.

10 novembre 2007

Une taxe mal pensée

Les Communistes de Genève, proposent l’introduction d’une taxe de 12 francs pour chaque passager arrivant à Cointrin (GH, 3.11), s’inspirant de ce qui existe déjà dans d’autres pays comme la France ou la Suède. Il est certes regrettable qu’une fois de plus, on taxe la consommation des individus plutôt que les revenus du capital. Malgré tout, cette taxe-là n’est pas la pire, dans la mesure où elle est susceptible de freiner un tout petit peu la croissance d’un mode de transport très polluant.
Ce qui est vraiment dommage, c’est qu’elle porte sur les passagers plutôt que sur les avions. Cela revient non seulement à favoriser les marchandises au détriment des gens, mais également les avions vides au détriment des avions pleins. Pourtant, tout le monde devrait être d'accord pour penser qu’un un avion bien rempli vaut mieux qu’un avion à moitié vide, à la fois d'un point de vue écologique (à nombre de passagers égal, il y aura moins d’avions dans le ciel) et d'un point de vue économique (à nombre d’avions égal, plus de gens peuvent voyager).
Il faudrait que nous nous libérions une fois pour toutes de la tendance faire reposer le poids de tous les problèmes de société sur les épaules des individus, au point de nous faire croire que ce qui pollue, ce n’est pas les avions, mais les gens qui sont assis dedans.

01 novembre 2007

Non à la taxe TV

Je m’étonne de lire dans ces colonnes Christiane Jaquet-Berger faire l’éloge de la taxe radio-TV (GH du 27 octobre).
Pour les gens les plus pauvres, cette taxe de 1.32 francs par jour ou 480 francs par an (ce qui fait beaucoup dans les deux cas) représente souvent le prélèvement fiscal le plus important auquel ils sont soumis (il importe ici de démentir la rumeur persistante selon laquelle les bénéficiaires de l’aide sociale seraient dispensés du payement de la taxe). D’où une « fraude » bien compréhensible et très répandue. Nombreux sont ceux qui, à chaque coup de sonnette, vivent dans la crainte de voir apparaître la silhouette sinistre de l’inspecteur de Billag.
N’est-ce pas également un devoir de citoyen que de s’opposer à une taxe qui finance des événements aussi contestables que la coupe du monde de football ou les jeux olympiques, où des gladiateurs modernes se ruinent la santé en propageant l’idée monstrueuse que le bonheur consiste à être meilleur que les autres ? Y a-t-il vraiment un inconvénient à laisser le secteur privé couper cela avec des publicités ?
Certes, le système actuel est peut-être un moindre mal, face à l’alternative d’une information exclusivement aux mains du capital. Mais il n’en demeure pas moins que dans une démocratie, facturer l’information au citoyen est aussi absurde que de facturer le droit de vote et que son financement doit donc incomber à la collectivité.

31 octobre 2007

Cancer du sein : la politique du provisoire

Neuchâtel rattrape les autres cantons romands en traînant les pieds. Mais pour combien de temps ?

Une femme sur 10 développera un cancer du sein au cours de sa vie. Environ 1400 Suissesses, dont 45 à 50 Neuchâteloises, en meurent chaque année. Il n’est pas à donc pas à l’honneur du canton de Neuchâtel d’être le dernier de Romandie, avec 14 ans de retard sur le canton de Vaud, à mettre sur pied un programme de dépistage par mammographie.
Un humanisme rentable
Rappelons qu’à la suite d’une motion déposée par le médecin popiste Marcelo Droguett et acceptée sans opposition par le Grand Conseil, le Conseil d’Etat (de droite) publiait en 2004 un rapport demandant un crédit de 1,4 millions pour financer un programme sur 5 ans. On lit notamment que même Santésuisse est favorable au dépistage par mammographie car « un seul traitement chimiothérapique lourd coûte plusieurs dizaines de milliers de francs en une année ». Le Conseil d’Etat nous dit aussi qu’« il s'agit également de prendre en compte les conséquences économiques des absences sur les lieux de travail des femmes atteintes d'un cancer ».

Un court-termisme pathologique

Coup de tonnerre en août 2005. Par une invraisemblable volte-face et en violation totale de l’esprit de la démocratie, le Conseil d’Etat « de gauche », fraîchement élu, décidait soudainement de retirer le rapport juste avant le débat prévu au Grand Conseil, sans même prévenir les députés de sa propre majorité. Voilà qui est symptomatique de la dégénérescence qui a atteint le débat politique dans le canton de Neuchâtel depuis l’adoption en juin 2005 des instruments dits de « maîtrise des finances », qui condamnent le canton à un court-termisme pathologique.

Une protestation louable
Tentant de faire croire que la décision de comptables myopes prise par le Conseil d’Etat relevait d’une véritable vision, M.Debély osait parler d’une « volonté de lutter contre le cancer du sein », mais affirmait vouloir inscrire cette lutte dans un « véritable programme cantonal de promotion de la santé », évoquant pêle-mêle l’obésité, le tabagisme et le sport, « l’objectif étant de garantir et d’améliorer la qualité de vie ». En évoquant ce « programme cantonal », cache-sexe de circonstance destiné à masquer la vacuité des ses arguments, le Conseil d’Etat était d’autant moins crédible qu’il n’expliquait à aucun moment pourquoi il renonçait soudain à l’objectif à long terme mentionné dans le rapport, soit « un programme unique de dépistage romand ». On ne peut que féliciter Marcelo Droguett d’avoir alors quitté la salle en signe de protestation.
Nouveau coup de théâtre quelques jours plus tard, la Banque cantonale neuchâteloise (BCN) annonçant qu’elle faisait don au Canton des 1,4 millions manquant. Un an et demi plus tard, après de dures négociations avec Santésuisse concernant le coût des mammographies, le programme va enfin démarrer et toutes les Neuchâteloises âgées entre 50 et 70 ans seront progressivement invitées à des mammographie gratuites.

Une récupération choquante

S’il est heureux que Neuchâtel rattrape ainsi son retard, il est malgré tout déplorable qu’une motion lancée par un député du POP soit récupérée pour diffuser dans le grand public l’idée profondément antidémocratique selon laquelle les banques seraient plus généreuses et humaines que l’Etat. On peut se demander en effet quelle proportion de la population différencie une institution d’intérêt public comme la BCN d’une vulgaire entreprise privée comme l’UBS. Il est également assez saumâtre qu’il revienne à Roland Debély de lancer la campagne de prévention et qu’il se fasse photographier par la presse locale en train d’affirmer que «mieux vaut prévenir que guérir».
De plus, rien n’est acquis définitivement, le financement des mammographies n’étant garanti que pour 4 ans par le don de la BCN. On se réjouit à l’avance d’entendre le discours que nos autorités nous serviront à cette échéance.

10 octobre 2007

Sans-contrats de tous les pays, unissez-vous !

Le chômage est un phénomène que beaucoup de gens ne comprennent pas bien : pourquoi y-a-t-il des gens qui ne travaillent pas alors qu’il y aurait tant de choses à faire ? La réponse est simple : parce qu’il n’y a pas assez d’argent pour les payer. Ayant compris cela aussi bien que nous, nos autorités ont depuis longtemps eu l’idée de faire travailler les chômeurs à prix réduit. Cette histoire étant insuffisamment étudiée, nous passons peut-être tous les jours sans le savoir sur des routes bâties par les « chômeurs » des années trente, dont rien ne rappelle la mémoire. Aujourd’hui encore, certaines administrations seraient bien embêtées si elles ne pouvaient plus compter sur les « chômeurs ».
Il est d’ailleurs un peu dérangeant qu’on continue de parler de « chômeurs » pour désigner ces travailleurs. Je propose donc de désigner par « sans-contrats » les travailleurs qui ne bénéficient pas d’un contrat de travail reconnu en tant que tel, même si en général on leur fait signer des « contrats d’insertion ». En règle générale, le travail du sans-contrat est considéré à priori comme dénué de toute valeur et l’argent qu’il reçoit est n’est pas considéré comme un salaire. Même s’il a accompli un travail extraordinaire, un sans-contrat au bénéfice de l’assurance-chômage n’est pas sûr de recevoir de l’argent à la fin du mois, car il faut en outre qu’il prouve qu’il a cherché un autre travail et n’a refusé aucun « emploi convenable ».
A défaut de pouvoir obtenir qu’on accorde un contrat de travail à tous les travailleurs, la gauche se doit de revendiquer un minimum de dignité pour les sans-contrats.
Premièrement, nul ne devrait être obligé à accepter un emploi sans contrat de travail. Il importe donc que la gauche s’oppose à tout projet allant dans ce sens, comme par exemple actuellement dans le canton de Neuchâtel où le Conseil d’Etat prévoit d’imposer du travail sans contrat à tous les bénéficiaires de l’aide sociale de moins de trente ans. Soit dit en passant, même d’un point de vue de droite, si vraiment on souhaite que plus de bénéficiaires de l’aide sociale travaillent à prix réduit pour la collectivité, il paraît plus efficace de les motiver en les traitant avec plus de dignité plutôt que de les contraindre.
Deuxièmement, toute personne qui travaille devrait être dispensée de justifier de recherches d’emplois, ainsi que de convocations régulières à des entretiens qui servent principalement à lui rappeler que ce qu’elle fait n’est pas du « vrai travail ». Nous connaissons le cas d’une personne en contrat d’insertion qui était convoquée à des entretiens que son assistante sociale fixait volontairement en dehors de ses heures de travail. Qui donc apprécierait de devoir rendre visite à son patron pendant ses jours de congé ? Le principe de la surveillance des chômeurs est discutable en lui-même, car il tend à mettre la responsabilité du chômage sur ceux qui en sont victimes. Mais dans le cas de personnes qui travaillent à prix réduit pour la collectivité, cela relève de l’acharnement.
Troisièmement, il faudrait cesser de diviser les sans-contrats en sous-travailleurs (personnes au bénéfice de l’assurance-chômage), en sous-sous-travailleurs (personnes aux mesures de crises) et en sous-sous-sous-travailleurs (personnes à l’aide sociale). Certes, ces catégories ont leur utilité pour l’administration. Par exemple, un bénéficiaire de l’aide sociale qui a obtenu un droit aux mesures de crises après avoir rempli un certain nombre de conditions pourra être considéré comme « réinséré », ce qui permettra de publier des statistiques flatteuses. Mais en réalité, ces catégories de fous sont tout juste bonnes à rendre les gens alcooliques. Passer d’un pseudo-emploi à un autre n’a rien à voir avec de l’insertion professionnelle et il est plutôt désagréable d’être considéré comme une patate chaude que les différents services cherchent à se refiler autant qu’ils peuvent.
Sans nul doute, on nous rétorquera que certains sans-contrats sont incapables de fournir un travail satisfaisant et qu’il n’est donc pas correct d’affirmer que la collectivité les exploite. Mais si c’est le cas, cela veut dire que ces personnes ne pourront de toutes manières pas retrouver d’emploi, du moins dans un avenir proche. Cela veut aussi dire, très souvent, qu’elles ont eu un parcours difficile et ont une piètre estime d’elles-mêmes. Nous voyons là des raisons supplémentaires de ne pas les rabaisser par des contrôles inutiles, de ne pas considérer à priori leur travail comme dénué de toute valeur et ne pas les surveiller comme des parasites.

Lutte des classes au POP

Au cours d’une récente discussion de parti, un militant chômeur protestait contre l’absence de mise au concours des postes dans l’administration cantonale, désormais réservés à la mobilité interne des fonctionnaires victimes des déstructurations en cours.
Les fonctionnaires présents ont réagi avec une certaine perplexité. Ils comprenaient mal qu’un camarade puisse s’attaquer à cette revendication syndicale importante qu’est le reclassement au sein de la fonction publique des employés de l’Etat éjectés de leur service.
Pourtant, d’un point de vue de chômeur de longue durée, des lois qui biaisent les mises au concours au profit de ceux qui sont déjà dans le système ont quelque chose de fondamentalement choquant, car elles ne font que renforcer l’inégalité des chances déjà existante.
Cet authentique conflit de classe entre salariés et chômeurs est traditionnellement théorisé par des économistes de droite, le capital ne s’étant jamais privé de diviser pour régner. La politique de l’autruche étant mauvaise conseillère, le POP se doit de débattre ouvertement de cette contradiction qui durera aussi longtemps que nous n’aurons pas réussi à imposer une politique de plein emploi.
Dans ce débat, il importe avant tout de savoir que les interlocuteurs ne sont pas égaux, car les chômeurs sont peu organisés, craignent de s’engager et leur parole a généralement moins de poids. Par conséquent, toute arrogance vis-à-vis d’eux ne fera que les pousser dans les bras de l’UDC.

23 septembre 2007

Villes : le classement des propriétaires

Le classement des villes suisses de Bilanz (publié à la fin du mois de juillet) a déjà été largement critiqué, mais un élément essentiel n’a pas été suffisamment mis en évidence. Sans même le vérifier, on peut facilement affirmer que le niveau des loyers n’a pas été pris en compte dans ce classement comme il l’aurait dû. Sinon, il est évident que des villes comme La Chaux-de-Fonds (116ème) ou Le Locle (120ème et dernière), dont les appartements spacieux et moins chers qu’ailleurs font se pâmer d’envie les visiteurs lémaniques ou zurichois, auraient obtenu un bien meilleur classement.
Cette bizarrerie méthodologique s’explique lorsqu’on constate que l’étude a été réalisée par un « centre d’information et de formations immobilière». Certes, il est normal que ces gens analysent la réalité en fonction de leurs préoccupations. Mais il est scandaleux que la presse destinée aux citoyens ordinaires s’en fasse aussi largement l’écho. Dans de tels cas, il serait important de protester auprès de la presse et d’exiger qu’elle indique clairement qu’elle rapporte le point de vue bien particulier d’une minorité. Une minorité fortunée qui cherche à encaisser des loyers aussi élevés que possible et dont les intérêts ne coïncident pas du tout avec ceux de la majorité de la population.

19 août 2007

Ne nous vendons pas à n’importe qui !

Les personnes au chômage ressentent souvent un sentiment de dévalorisation pouvant entraîner de lourdes souffrances psychiques, parfois plus graves que les conséquences purement financières de leur situation. Qu’on pense à cet homme qui n’osait pas écouter de musique pendant la journée, de peur que ses voisins l’entendent et se rendent compte qu’il était chômeur.
Les chômeurs ont honte parce qu' « ils ne gagnent pas leur vie ». Mais qu’entend-on exactement par « gagner sa vie » ? En réalité, cette expression contient deux sens qu’on devrait prendre soin de distinguer. D’une part, cela veut dire « recevoir de l’argent en échange d’un travail ». D’autre part, cela signifie également « faire quelque chose d’utile », afin de ne pas avoir l’impression d’être « à la charge de la société ».
Il faudrait éviter le plus possible d’utiliser cette expression réactionnaire formée des mots : « gagner sa vie ». En effet, son usage répété amène à penser que ses deux sens sont équivalents et que toute personne rémunérée pour une activité, quelle qu’elle soit, accomplit quelque chose d’utile. C’est pourtant loin d’être toujours le cas. Bien que le travail soit à la source de toute richesse, tout travail n’est pas utile.
Il existe même du travail nuisible. Qu’on pense à la publicité qui incite à s’endetter pour acheter des voitures inutilement dangereuses et polluantes ; aux juristes qui manigancent pour contourner les lois ; aux comptables qui oeuvrent à l’évasion fiscale ; à la promotion de certains médicament par l’industrie pharmaceutique, souvent plus préoccupée de ses profits que de santé publique ; au tabac ; aux armes ; à la presse qui ne peut pas dire la vérité lorsque celle-ci va à l’encontre de l’intérêt des annonceurs dont elle dépend. Sans oublier les vendeurs de téléphones mobiles qui nous harcèlent dans la rue.
Il serait déplacé de faire un quelconque reproche aux travailleurs de toutes ces industries, qui ne sont pas responsables des politiques de leurs dirigeants, n’ont pas vraiment le choix et sont même parfois exploités, certains au point d’y perdre leur santé voire leur vie. Mais il est important de se rendre compte que ce qu’ils font est souvent nuisible à la société et ne contribue qu’à remplir les poches de patrons peu soucieux du bien commun. On peut se demander s’il est raisonnable de considérer qu’ils « gagnent leur vie » et méritent plus de considération que les personnes sans emploi. Ces dernières peuvent du moins se targuer de ne rien faire de nuisible. Il faut donc qu’elles aient le courage de penser et de dire (sauf bien sûr aux gendarmes de l’ORP) qu’il n’y a pas plus de honte à ne rien faire qu’à faire n’importe quoi.
C’est une belle chose que d’avoir envie de faire quelque chose d’utile, mais cela ne veut pas dire qu’il faut être prêt à se vendre à n’importe qui pour « gagner sa vie », car cela profitera avant tout aux patrons les moins soucieux du bien commun, ainsi qu’aux actionnaires qui, rappelons-le, encaissent des dividendes sans fournir le moindre travail en contrepartie.
Les politiques des gens qui nous gouvernent créent du chômage. C’est malheureux mais c’est ainsi. Si vos compétences et votre envie de bien faire ne sont pas mises à contribution, il n’y a donc aucune raison pour que vous culpabilisiez une seule seconde. Et si vous arrivez à vivre heureux avec pas trop d’argent en profitant de votre temps libre, nous ne pouvons que vous faire part de nos plus chaleureuses félicitations.

08 avril 2007

Lutter contre la maladie, pas contre les malades.

Avec la 5ème révision de l’AI, la droite poursuit l’inquiétante expansion de l’Etat paternaliste.

Tout le monde pourrait devenir un jour rentier AI. Ils sont actuellement pas loin de 300 000 en Suisse, plus que la population de bien des cantons, et reçoivent au total des rentes à hauteur de 6,4 milliards par année. La Confédération veut leur retirer un milliard. En effet, il est non seulement prévu de consacrer un demi-milliard à « la détection précoce », pièce maîtresse de la 5ème révision qui passera en votation le 17 juin prochain, mais on veut, par-dessus le marché, faire économiser un autre demi-milliard à l’AI. C’est d’ailleurs déjà en bonne voie, puisque le nombre de nouvelles rentes accordées a déjà diminué de 30% au cours des deux dernières années.

Une pieuvre sans tête

Ce n’est pas seulement la situation financière de la population concernée qui sera péjorée, mais aussi celle des cantons et les communes, par le biais de l’aide sociale et d’une diminution des rentrées fiscales. Toutefois, personne ne sait dans quelles proportions, le Conseil fédéral ayant benoitement admis en septembre 2006, en réponse à une interpellation du socialiste chaux-de-fonnier Didier Berberat, qu’« il n'est actuellement pas possible d'établir un relevé statistique des conséquences des modifications de l'assurance-chômage et de l'assurance-invalidité pour l'aide sociale ». On retrouve à l’œuvre la logique de la pieuvre sans tête, où on fait travailler chaque tentacule de l’Etat pour son propre compte, sans se soucier des intérêts globaux de l’animal.
Une épidémie de dépressions
De plus en plus de personnes ne s’intègrent ou se réintègrent jamais sur le marché du travail. Les cas de rentes AI pour motifs psychiques on littéralement explosé, en particulier dans les classes d’âge les plus jeunes, et représentent maintenant 40% du total des rentes. Alors qu’en 1996, 1% de la population active bénéficiait d’une rente pour cause de maladie psychique, ce chiffre dépassait 2% dix ans plus tard. Augmentation qui s’explique principalement par un marché du travail de plus en plus dur, quoi qu’en dise Yves Rossier, directeur de l’Office fédéral des assurances sociales, qui ose affirmer qu’« il n’y a pas de lien entre un marché du travail difficile et l’augmentation des rentes AI ».
Une chasse aux sorcières
Imaginez qu’on vous impose des objectifs inatteignables et contradictoires et des rythmes de travail excessifs, en dénigrant systématiquement tout ce que vous faites. Imaginez que, comme beaucoup de gens dans une telle situation, vous perdiez toute motivation et confiance en vous, au point de ne plus être capable de faire quoi que ce soit. Faire les courses ou aller boire un verre devient aussi difficile que l’ascension de l’Everest. Quant à retrouver un emploi, vous n’y songez même plus…
C’est vous que veut « aider » la 5ème révision de l’AI. Sa pièce maîtresse, la « détection précoce », enjoint n’importe qui ou presque, famille, médecin, assurances ou employeur, à dénoncer à l’AI toute personne susceptible de se retrouver définitivement incapable de travailler. La chasse aux dépressifs est lancée.
Une fausse bonne nouvelle

Quand tout est noir, « quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant », il vaut mieux avoir quelque activité de loisir à pratiquer ou quelques travaux à faire. Les sommes très importantes prévues par la 5ème révision de l’AI pour offrir divers programmes destinés aux gens en congé maladie devraient donc être une bonne nouvelle. Quand on sait que 90% des personnes qui déposent une prestation AI sont en congé maladie depuis une année ou plus, et qu’il arrive que l’AI n’accorde des mesures de réinsertion que trois ans après la survenance de la maladie, on peut penser qu’il aurait été approprié de ne pas laisser ces personnes en difficulté livrées à elles-mêmes aussi longtemps. Après un an de congé maladie, la probabilité d’un retour à l’emploi est de moins de 20%.
Mais la « détection précoce » prévue par la 5ème révision, une bonne idée en soi, ne peut fonctionner qu’à condition qu’on agisse uniquement avec l’accord des personnes concernées. Or, la révision de l’AI est tout le contraire. On lit dans le projet de loi que l’Office AI peut « ordonner » des mesures, et que « l’assuré doit entreprendre tout ce qui peut être raisonnablement exigé de lui pour réduire la durée et l’étendue de l’incapacité de travail et pour empêcher la survenance d’une invalidité ».
Un paternalisme anti-libéral
La démarche autoritaire est déjà éprouvée dans un autre domaine : afin de faire croire que ce sont les chômeurs qui sont responsables du chômage, on leur faire suivre des « cours de techniques de recherche d’emploi ». On crée des « entreprises d’entraînement » où on oblige les gens à faire du commerce fictif d’équipements de football fictifs. La crainte des sanctions et le manque d’estime de soi-même propres à la plupart des chômeurs les empêchent de critiquer trop ouvertement ces activités. Mais qui peut croire que beaucoup de gens y participeraient de leur plein gré ? Pourquoi la droite au pouvoir, soi-disant libérale, fait-elle soudain si peu confiance au libre choix des individus ?
Bon business pour Bâle
On pourra imposer aux personnes en détresse psychique un « entraînement à l’endurance », un « développement de la motivation », une « stabilisation de la personnalité » ou l’ « exercice des compétences sociales de base ». Mais la contrainte en la matière est extrêmement dangereuse et peut enfoncer les « bénéficiaires » encore plus profondément dans le manque d’estime d’eux-mêmes et le sentiment de ne pas maîtriser leur existence. Comment des personnes blessées par le monde du travail pourront-elles se rétablir si elles ont l’impression d’être soumises à un mobbing étatique ? D’autant plus que la loi prévoir l’obligation de se soumettre à des traitements. On peut s’attendre à la prise imposée de médicaments psychotropes, pour le plus grand profit de notre lobby pharmaceutique.
Il est prévu pour l’instant que les réfractaires pourront se voir retirer le droit aux prestations AI. Quelles contraintes inventera-t-on alors pour eux, lorsqu’ils seront pris dans le dernier filet, celui de l’aide sociale ? Si nous ne résistons pas dès maintenant à la logique de l’Etat tuteur, il continuera inéluctablement son expansion.
Une patience trop couteuse
Ne peignons pas le diable sur la muraille. Le demi-milliard pour la « détection précoce » ne servira pas seulement à persécuter les malades psychiques. Certains travailleurs sociaux feront bon usage de ce financement, n’en doutons pas. Mais cela ne sera peut-être pas souvent possible. Proposer à des gens en dépression des activités susceptibles de les motiver est une tâche difficile, qui nécessite beaucoup de patience. Or, il est permis de douter qu’on en prendra le temps. Pour rappel, le remboursement des psychothérapies par l’assurance-maladie a été restreint depuis le début de cette année, au motif que les traitements avec des médicaments seraient plus rapides.
Une mauvaise lutte
La 5ème révision de l’AI est typique de notre temps où on veut de moins en moins aider les gens et de plus en plus les surveiller. On veut accentuer le contrôle des personnes pauvres ou fragiles plutôt que de mettre en place un marché du travail moins dur. De la même façon qu’on lutte contre les chômeurs plutôt que contre le chômage, on veut maintenant lutter contre les malades plutôt que contre les causes des maladies psychiques.

19 mars 2007

Un popiste chaux-de-fonnier au Conseil national !

Du temps où la Suisse était à la traîne en matière d’hygiène publique et de médecine du travail, le POP était à la pointe du combat pour la santé des travailleurs.
« L’électorat neuchâtelois envoie un popiste au Conseil national ». Ce fait unique dans l’histoire du Canton date d’octobre 1967. La liste popiste, emmenée par le célèbre médecin Jean-Pierre Dubois, récolta alors 19,3% des suffrages. Une élection d’autant plus extraordinaire que les socialistes avaient refusé, par une courte majorité, de s’apparenter avec le POP.
Déjà l’écologie
Par bien des aspects, la campagne électorale de l’époque était semblable à celles d’aujourd’hui. Les partis de gauches dénonçaient les cadeaux fiscaux aux plus riches et le report des charges sur les pauvres et les classes moyennes. « La plus vieille démocratie du monde est soumise toujours plus ouvertement à la domination de la finance et des monopoles », lisait-on déjà sur les tracts du POP, qui s’inquiétait de l’exil vers l’étranger des diplômés universitaires ne trouvant pas de bonnes conditions de travail chez nous. On parle déjà des paysans qui deviennent dépendant des banques, perdant la maîtrise de leurs moyens de production et se prolétarisant toujours plus, ainsi que de « la télévision qui nous abrutit avec ces feuilletons ineptes, avec sa publicité pour demeurés ». L’écologie était déjà un thème central, notamment la pollution des eaux.
Le temps de l’inflation
C’est, à nos yeux, une époque bénie de plein emploi. Mais cela n’empêche pas qu’on parle, à droite comme à gauche, de « malaise helvétique ». Depuis la guerre, les entreprises se sont contentées de tirer profit de l’appareil productif épargné par les hostilités. Elles ont exploité une main d’œuvre étrangère à bon marché qui n’était pas là pour rester, pensait-on, et pour laquelle on ne s’est pas donné la peine de construire des infrastructures. On n’a pensé qu’à faire de l’argent vite et tout de suite. Le pays a pris du retard et manque de logements, d’écoles, de routes, d’hôpitaux et, paraît-il, de centrales nucléaires.
Le thème économique qui mobilise, c’est l’inflation. Dans ce pays qui manque de beaucoup de choses, il n’est certes pas étonnant que les prix augmentent. Pendant que le POP dénonce « les partis de la vie chère », la suppression du contrôle des loyers, la réduction des subventions pour certains produits alimentaires de base et l’augmentation des impôts indirects, les libéraux affirment que c’est les dépenses excessives de l’Etat qui sont la cause de la hausse des prix.
Hygiène et propreté
Si on en croit les clichés véhiculés en 1970 par Astérix chez les Helvètes, la Suisse de cette époque était propre. Mais elle n’était pas du tout hygiénique, surtout pas sur les lieux de travail. C’est là-dessus que portera l’essentiel du combat politique de Jean-Pierre Dubois : « Des pays comme le Portugal, la Turquie, L’Espagne même, ont créé des facultés de médecine du travail et des écoles d’hygiène publique post-universitaires. La Suisse, mise au pied du mur par une enquête de l’OMS à Genève, a décidé de ne pas s’occuper de ce problème, en invoquant des difficultés financières ». (JPD 106/89)
Des shoots aux tartines
Si Jean-Pierre Dubois devra sa célébrité en grande partie à l’affaire du benzol, sur laquelle nous reviendrons la semaine prochaine, il mènera également d’autres combats, notamment contre la phénacétine, produit interdit à l’époque déjà dans de nombreux pays, parce qu’il entraîne presque toujours, à long terme, des lésions sanguines et rénales. Mais en Suisse cette substance, présente dans des médicaments comme le Kaffa ou le Saridon, rapporte d’énormes profits à « deux grandes maisons de produits chimiques suisses » et a également la vertu d’améliorer la performance des ouvriers : « Chaque prise apporte un sentiment de bien-être, atténue la fatigue, subjectivement, augmente même le rendement devant la machine » (JPD 106/91) Des entrepreneurs en distribuent même aux ouvriers, c’est les célèbres « tartines au Saridon », saupoudrées d’une poudre censée faire du bien.
Une interdiction tardive
Cette toxicomanie institutionnalisée préoccupe assez peu les autorités. En Suède, dès 1961, on était parvenu à diviser par 17 la consommation nationale de phénacétine en soumettant le produit à ordonnance. En Suisse, en 1976, le directeur de l’Office intercantonal de contrôle des médicaments ose encore affirmer : « C’est la consommation normale d’un médicament qui détermine la mise sous ordonnance ou non. Les analgésiques ne sont pas nocifs s’ils sont consommés raisonnablement. » (24 heures, 8.11.76). Il faudra attendre 1981 avant que la Confédération interdise la publicité pour la phénacétine et se résolve à soumettre le produit à ordonnance, en admettant toutefois une exception pour « les petits emballages jusqu’à 10 doses », ce qui évidemment prive la mesure de toute efficacité. Ce n’est qu’assez récemment que le produit a finalement été interdit.
Un combat peu reconnu
La lutte du Dr Dubois, aussi légitime qu’elle paraisse, se heurte souvent à des oppositions. Lorsqu’il dénonce, dans le réseau d’eau potable de La Chaux-de-Fonds, une pollution aux détergents à l’origine d’une hécatombe de truites dans les viviers de la ville et de troubles intestinaux chez les personnes, un conseiller général l’accuse de vouloir discréditer la ville.
Aussi injuste que cela puisse paraître, cet homme ayant probablement sauvé la vie de milliers de personnes, qui avait autant fait pour des causes aussi universellement reconnues que la santé publique et la santé au travail, et dont certaines propositions avaient été adoptées par le Parlement, n’a pas été réélu.
Des adversaires nauséabonds
Certes, les problèmes d’alcoolisme de Jean-Pierre Dubois étaient connus et il avait parfois fait preuve d’angélisme au sujet des pays dit socialistes, d’une façon peut-être un peu surprenante pour un esprit aussi critique, lui qui n’avait pas hésité à déclarer : « Les seuils admis de substances toxiques utilisés dans la fabrication des usines à l’est en général, [sont] infiniment plus bas que ceux permis… dans les pays capitalistes occidentaux. » (JPD 106/90)
Mais son échec a probablement d’autres causes. Les élections de 1971 sont marquées par l’entrée en scène du Mouvement national d’action républicaine et sociale, dont le président national est le tristement célèbre James Schwarzenbach, qui obtient 10,6% des voix pour sa première participation aux élections fédérales dans le canton de Neuchâtel. Les autres partis restant stables, il paraît probable qu’une partie importante des 6,5% de voix perdus par le POP soit tombées dans l’escarcelle du parti d’extrême-droite. C’est du moins l’analyse faite à la fois par l’Impartial et la Voix ouvrière de l’époque.
Une conclusion qui ne parait pas invraisemblable, quand on sait qu’à La Chaux-de-Fonds, le Docteur Dubois a été le candidat le plus rajouté sur les listes du mouvement d’extrême-droite. D’autant plus que le MNA, qui se prétend ni à droite ni à gauche, a fait une campagne brillamment démagogique, fustigeant « les spéculateurs et les profiteurs ». Une campagne bien hypocrite, puisqu’une année avant, ce parti s’était prononcé contre l’initiative populaire pour le droit au logement. Il ose promettre également des allocations plus élevées pour les enfants, la gratuité des études pour tous les jeunes Suisses et un meilleur système de retraite, tout cela bien sûr sur le dos des étrangers censés être des profiteurs.
La gauche a beau dénoncer ces analyses fallacieuses, comparer le MNA à Hitler qui avait lui aussi multiplié les promesses de type social avant de se révéler le meilleur allié du grand capital allemand, rien n’y fait. La démagogie aura eu raison de l’humanisme.
Source principale : Fonds Jean-Pierre Dubois. Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds.

Suite
L’affaire du Benzol : hécatombe dans les usines
Quand la négligence devient politique nationale, c’est des milliers d’ouvriers qui meurent.
Le « benzol », également souvent appelé benzine de houille, est plus connu de nos jours sous le nom de « benzène ». Dans les années 60, de nombreuses personnes, y compris celles qui le vendent ou l’utilisent quotidiennement, ignorent que les trois noms désignent un seul produit. En 1958, le futur conseiller national popiste Jean-Pierre Dubois découvre que les ouvriers de la fabrique des Prelets au Val-de-Ruz nettoient les cadrans de montres avec du benzène sans précaution et en toute ignorance. « Quand la bouteille était vide, on demandait un nouveau remplissage de « benzine », alors que c’était du benzol », racontera plus tard une ouvrière (Blick, 9.11.63). Huit employés de l’entreprise payeront cette négligence de leur vie. A l’échelle suisse, c’est probablement des milliers de personnes, d’après le Dr Dubois, qui sont mortes d’intoxications au cours des dizaines d’années pendant lesquelles le benzène a été utilisé sans précautions. Qui est responsable ?
Une conspiration du silence
La toxicité du produit était connue depuis bien longtemps. En 1938, cinquante cas d’intoxication avaient été annoncés à la Caisse nationale d’assurance, dont 23 graves et 7 mortels. Mais elle s’était désintéressée du problème, n’ayant plus eu vent de nouveaux cas depuis. Et pour cause, puisque ses inspecteurs n’étaient pas tenus de signaler la présence de benzène dans les fabriques. Les services de la Confédération n’étaient pas innocents non plus, puisque le benzène n’était classé que dans la cinquième classe de toxicité, alors qu’il aurait dû logiquement figurer dans la première. Il n’était même pas obligatoire de signaler la toxicité du produit sur les étiquettes, alors que c’était le cas depuis bien longtemps en France. De nombreux pharmaciens vendaient ce produit toxique sans savoir à quoi s’en tenir : « Il y en a qui ne supportent pas les fraises et d’autres pas le benzol », aurait dit une droguiste en vendant le produit (La Sentinelle, 13.11.63). A l’époque, des produits semblables au benzène sont même utilisés comme solvants pour l’encre de stylos feutres destinés aux enfants.
On peut donc parler d’une véritable conspiration du silence, consciente ou inconsciente. « Des ouvriers mouraient de « leucémie ». A chaque décès, un médecin remplissait une fiche qui s’en allait faire des fausses statistiques à Berne » (JPD 106/90), dénonce le Dr Dubois, qui met également le doigt sur les insuffisances de la presse : « Au lendemain d’une interpellation au Grand Conseil, nous avons été frappés de voir que certains journaux de notre canton n’ont pratiquement pas parlé de ce scandale, autocensure, ainsi qu’aucun journal syndical » (JPD/106/88)
Une prise de conscience
Lorsqu’un procès retentissant s’ouvre en 1963 à La Chaux-de-Fonds contre le fournisseur qui a vendu le benzène à l’usine des Prelets, celui-ci fait un peu figure de bouc émissaire. Mais il bénéficiera finalement d’un non-lieu, car la loi ne l’obligeait pas à signaler la toxicité du produit. Quant à l’acheteur, le patron de l’usine, il invoque son ignorance et ne sera même pas inculpé, même si en principe « c’est le chef d’entreprise qui est en premier lieu responsable de la sécurité du travail » (Sentinelle, 27/11/63).
Le procès de La Chaux-de-Fonds aura pourtant pour effet de faire connaître la toxicité du benzène et d’entraîner une prise de conscience dans toute la Suisse. Mais cela ne nous empêche pas, aujourd’hui encore, de respirer quotidiennement ce produit cancérigène, présent entre autres dans l’essence des voitures. Le trafic automobile étant actuellement à la source de trois quarts des émissions, les concentrations les plus fortes se retrouvent dans les stations services et les garages souterrains, même si de gros efforts sont faits et que les concentrations baissent chaque année.
Vers de nouvelles affaires ?
Personne ne peut dire combien le benzène fait actuellement de victimes. Mais on peut se satisfaire que ce produit fasse l’objet de contrôles réguliers. Car à notre époque où les entreprises sont plus puissantes, plus avides de profit et moins humaines que jamais, et où on donne de moins en moins de moyens à l’Etat pour les contrôler, de nouvelles affaires sont peut-être encore à venir, avec des produits dont le simple pékin ignore encore l’existence…

Source principale : Fonds Jean-Pierre Dubois. Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds.