Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

25 juin 2013

Quand les économistes enfoncent une porte ouverte à contresens.

« Pour créer des emplois, il faut de la croissance ». Par la force de l'habitude, on finit par considérer comme vérité d'évidence cette phrase dont la plupart des économistes se gargarisent quotidiennement. On la répète dans les salons pour montrer qu'on est à la page. Il est d'ailleurs probable que les statistiques en démontrent, dans la plupart des cas, l'exactitude : lorsqu'il y a croissance économique, il y a en principe moins de chômage.
Lorsqu'on observe que deux phénomènes sont liés, il convient de se demander lequel est la cause de l'autre. Par exemple, on peut démontrer statistiquement que lorsqu'il fait chaud il y a du soleil, mais personne ne pense que le soleil est la conséquence du chaud. De même, il paraît logique de considérer que le travail sert à produire des richesses, plutôt que l'inverse. Il paraît peu sensé de dire « la chute de l'arbre a causé son abattage par le bûcheron ». Rares sont les ouvriers qui vous diront : « j'ai décidé de gagner plus d'argent pour pouvoir travailler plus ».
Pourquoi donc tant d'économistes inversent-ils cette logique évidente ? Pourquoi ne disent-ils presque jamais, tout bêtement, que « pour créer de la croissance, il faut des emplois » ? Pourquoi enfoncent-ils la porte ouverte à contresens ? On aurait tort de simplement rigoler de ce raisonnement tête-en-bas et de cette attitude si répandue consistant à être obscur pour faire croire qu'on est intelligent, car en l'occurrence nous avons affaire à un véritable programme politique. Rappelons que lorsqu'on calcule la croissance, la fabrication d'armes vaut plus que la paix dans le monde, les ventes de médicaments valent plus que la santé et tout travail, aussi absurde et pénible qu'il soit, vaut plus que le temps libre. En affirmant qu'il faut de la croissance pour créer des emplois et en sous-entendant, évidemment, qu'il faut des emplois pour vivre, on diffuse l'idée selon laquelle toute activité marchande, aussi inutile ou nuisible qu'elle soit, est indispensable à la prospérité générale.
En revanche, lorsqu'on raisonne dans le sens normal, en considérant tout bêtement que le travail sert à produire des biens et des services, on peut non seulement faire la critique des activités inutiles, mais on arrive assez naturellement à l'idée qu'à partir d'un certain niveau de richesse, et à condition que la celle-ci soit bien distribuée, il devient de moins en moins nécessaire que l'ensemble de la population exerce une activité rémunérée.

publié dans Jet d'Encre

13 juin 2013

Quatrième pouvoir: si on essayait la démocratie?

La notion de « liberté de la presse » a quelque chose d’utopique. A la dif­fé­rence du citoyen béné­vole, expri­mant son opi­nion au bis­trot ou sur Inter­net, le jour­na­liste pro­fes­sion­nel, par défi­ni­tion, est payé par quelqu’un. Il doit for­cé­ment répondre aux attentes de la main qui le nour­rit. Il existe de par le monde trois types d’acteurs finan­çant la presse : l’État, les annon­ceurs publi­ci­taires et les lecteurs.
Les démo­crates sou­cieux de sépa­ra­tion des pou­voirs ne peuvent que sou­hai­ter una­ni­me­ment que le contrôle de la presse soit du res­sort des lec­teurs. En ce sens, le suc­cès du jour­nal fran­çais en ligne Media­part, financé essen­tiel­le­ment par ses abon­nés, est tout à fait encourageant.
Mal­heu­reu­se­ment, ce modèle risque de mener à une société à deux vitesses, où la par­tie la moins riche et la moins éduquée de la popu­la­tion se contente d’une presse « gra­tuite » finan­cée par les annon­ceurs publi­ci­taires, pen­dant que seule une élite a accès à l’information de qualité.
On connaît le mythe biblique de la mul­ti­pli­ca­tion des pains, avec ces paniers où les gens pou­vaient se res­ser­vir indé­fi­ni­ment, sans que jamais ils ne soient vides. L’information pos­sède la même carac­té­ris­tique mira­cu­leuse : vous pou­vez lire tout ce que vous vou­lez sans en pri­ver qui que ce soit.
Cha­cun est révolté à la vue de ces images de la crise des années 1930 où l’on détrui­sait de la nour­ri­ture, pour en faire remon­ter le prix, quand nom­breux étaient ceux qui ne man­geaient pas à leur faim. On oublie pour­tant de s’indigner quand l’accès à l’information est limité, quand on empêche les êtres humains de nour­rir leur intel­li­gence dans les paniers inépui­sables qui contiennent le pain du savoir. J’ai ren­con­tré une neu­ro­logue rou­maine qui pei­nait à s’informer des déve­lop­pe­ments de sa branche, parce que son hôpi­tal n’avait pas les moyens de s’abonner aux revues scien­ti­fiques de pointe. Com­bien de spé­cia­listes des pays pauvres sont-ils ainsi entra­vés ? Com­bien de décès en sont-ils la conséquence ?
L’accès des votants à des infor­ma­tions poli­tiques de qua­lité n’est-il pas aussi, pour une démo­cra­tie, une ques­tion de vie ou de mort ? Mais com­ment trou­ver moyen de conci­lier les deux exi­gences contra­dic­toires que sont le contrôle par les lec­teurs et la gra­tuité d’accès ? Autre­ment dit, com­ment faire pour ver­ser de l’argent public aux jour­naux tout en lais­sant le contrôle aux citoyens ? Voilà la ques­tion fon­da­men­tale que les jour­na­listes devraient se poser.
On pour­rait par exemple ima­gi­ner que chaque citoyen reçoive chaque année un « chèque-média » qu’il pour­rait rever­ser aux organes de presse de son choix. Ce sys­tème, qui serait une écono­mie de mar­ché à égalité de pou­voir d’achat, autre­ment dit une démo­cra­tie, ne garan­ti­rait pas for­cé­ment une presse de qua­lité, car il serait à la merci des mau­vais choix des citoyens. Cha­cun le sait, la démo­cra­tie est le pire des sys­tèmes. Mais c’est aussi le moins mauvais…

FAUTE DE LOGIQUE

Il existe une loi économique peu connue, mais pourtant évidente, qu'on pourrait appeler "loi de la conservation de l'argent". En effet, dans n'importe quelle transaction marchande, la quantité d'argent qui entre dans la poche du vendeur est strictement égale à ce qui sort de la poche de l'acheteur. Seules les banques, ainsi que les faux monnayeurs, peuvent fabriquer l'argent que les simples citoyens doivent se contenter de faire circuler, ne pouvant gagner que ce qui est dépensé par d'autres. C'est donc à tort que certaines personnes un peu snobs, plutôt que d'utiliser l'expression simple et correcte "gagner de l'argent", préfèrent dire "faire de l'argent", (probablement par imitation de l'anglais "make money"). Il s'agit-là d'une faute de logique que les professeurs de français devraient souligner trois fois en rouge. Il en va de même du titre de l'article de l'Express et l'Impar du 8 juin: "En Suisse, la publicité génère 5,7 milliards de francs par an". Cette somme colossale, d'un ordre de grandeur comparable au budget de l'armée, n'est bien entendu ni "générée" ni "créée", mais sort tout simplement de la poche des consommateurs. A chaque fois que ceux-ci payent les intérêts d'un petit crédit, achètent des cigarettes, de l'alcool, une voiture, un gadget électronique ou à peu près n'importe quoi d'autre, une partie du prix d'achat sert à financer la pub, qui, au total, finit par nous coûter vraiment très cher.

Fichés et saignés pour 30 centimes !

Vous est-il déjà arrivé de vous tromper de billet dans les transports publics ? Certainement oui, à moins que vous ne les preniez jamais. Entre autres pièges, citons la documentation de TransN (Transports publics neuchâtelois), qui précise que le « court parcours » à 1.90 est valable pour 30 minutes, indépendamment du nombre d'arrêts, sur « les réseaux urbains respectifs des villes de La Chaux-de-Fonds et du Locle ». Seul le mot « respectif » indique que pour un trajet d'une ville à l'autre, le billet est à 2.20. Cette petite inattention à 30 centimes suffit à faire de vous un « semi-fraudeur » et vous donnera droit à un fichage en règle dans les dossiers de TransN, ainsi qu'à une amende de 75 francs, soit 250 fois le montant de votre étourderie. Si, indigné par ce multiplicateur astronomique, vous refusez de vous en acquitter immédiatement, l'amende passera alors à 140 francs après une dizaine de jours, soit 467 fois le montant de votre « semi-fraude », comme cela est arrivé récemment à une dame de 78 ans. Le but de TransN est-il de servir la population ou de la dégoûter des transports publics?