« Pour créer des emplois, il
faut de la croissance ». Par la force de l'habitude, on finit
par considérer comme vérité d'évidence cette phrase dont la
plupart des économistes se gargarisent quotidiennement. On la
répète dans les salons pour montrer qu'on est à la page. Il est
d'ailleurs probable que les statistiques en démontrent, dans la
plupart des cas, l'exactitude : lorsqu'il y a croissance
économique, il y a en principe moins de chômage.
Lorsqu'on observe que deux phénomènes
sont liés, il convient de se demander lequel est la cause de
l'autre. Par exemple, on peut démontrer statistiquement que
lorsqu'il fait chaud il y a du soleil, mais personne ne pense que le
soleil est la conséquence du chaud. De même, il paraît logique de
considérer que le travail sert à produire des richesses, plutôt
que l'inverse. Il paraît peu sensé de dire « la chute de
l'arbre a causé son abattage par le bûcheron ». Rares sont
les ouvriers qui vous diront : « j'ai décidé de gagner plus
d'argent pour pouvoir travailler plus ».
Pourquoi donc tant d'économistes
inversent-ils cette logique évidente ? Pourquoi ne disent-ils
presque jamais, tout bêtement, que « pour créer de la
croissance, il faut des emplois » ? Pourquoi enfoncent-ils
la porte ouverte à contresens ? On aurait tort de simplement
rigoler de ce raisonnement tête-en-bas et de cette attitude si répandue consistant à être obscur pour faire
croire qu'on est intelligent, car en l'occurrence nous avons affaire
à un véritable programme politique. Rappelons que lorsqu'on calcule
la croissance, la fabrication d'armes vaut plus que la paix dans le
monde, les ventes de médicaments valent plus que la santé et tout
travail, aussi absurde et pénible qu'il soit, vaut plus que le temps
libre. En affirmant qu'il faut de la croissance pour créer des
emplois et en sous-entendant, évidemment, qu'il faut des emplois
pour vivre, on diffuse l'idée selon laquelle toute activité
marchande, aussi inutile ou nuisible qu'elle soit, est indispensable
à la prospérité générale.
En revanche, lorsqu'on raisonne dans le
sens normal, en considérant tout bêtement que le travail sert à
produire des biens et des services, on peut non seulement faire la
critique des activités inutiles, mais on arrive assez naturellement
à l'idée qu'à partir d'un certain niveau de richesse, et à
condition que la celle-ci soit bien distribuée, il devient de moins en moins nécessaire que l'ensemble de la population exerce
une activité rémunérée.
publié dans Jet d'Encre
publié dans Jet d'Encre