Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

19 décembre 2006

UNE SITUATION EXPLOSIVE

Le département neuchâtelois de l’économie a présenté le 10 novembre dernier les résultats d’une étude universitaire franco-suisse portant sur les premières conséquences de « l’ouverture des frontières ».
Depuis l’entrée en vigueur en juin 2004 de l’Accord bilatéral relatif à la libre circulation des personnes (ACLP), la préférence à la main d’œuvre indigène a été abandonnée. Les entreprises sont désormais libres d’engager comme elles veulent des travailleurs originaires de la communauté européenne (sauf pour l’instant les nouveaux membres).
La tendance se poursuit
De manière surprenante, l’entrée en vigueur de l’ACLP ne marque pas une coupure importante dans l’évolution de l’emploi dans le Canton de Neuchâtel, car le nombre de frontaliers avait déjà commencé à augmenter 4 ans plus tôt. Bien que les entreprises affirment préférer la main-d’œuvre locale, pour des raisons liées aux risques et aux difficultés d’intégrations des employés étrangers, le nombre de frontaliers a augmenté de 62% — soit 2200 frontaliers de plus — depuis janvier 2000. Dans le même temps, le nombre de chômeurs s’est accrû d’un chiffre comparable. Les frontaliers représentent désormais 7,5% de la main d’œuvre du Canton. Toutefois, cette croissance importante n’est en fait qu’un rattrapage, car le nombre de frontaliers avait fortement diminué au cours des années 90. La nouveauté est que le nombre de frontaliers augmente maintenant même lorsque le nombre d’emplois diminue.
Du côté français, on se plaint d’ailleurs d’une augmentation des inégalités faisant naître certaines tensions. Les prix sur le marché de l’immobilier tendent à devenir inaccessible pour les travailleurs français ne disposant que d’un bas salaire. La demande augmente plus vite que l’offre, car des personnes d’autres régions de France (en particulier du Nord) viennent s’installer en Franche-Comté dans le but de travailler en Suisse.
Statistique insuffisantes
Prudemment, les auteurs de l’étude se gardent d’affirmer que la main d’œuvre frontalière se substitue forcément à la main d’œuvre locale sur le marché de l’emploi neuchâtelois. Selon eux, il est également possible qu’il s’agisse d’un apport de main d’œuvre complémentaire, et que les frontaliers viennent occuper des places de travail pour lesquelles il n’y a pas suffisamment de résidents suisses possédant les compétences nécessaires. C’est d’ailleurs ce qu’affirment les agences de placement. Les statistiques disponibles ne permettraient pas de tirer de conclusion à ce sujet pour l’instant.
L’étude ne permet pas non plus de conclure à un dumping salarial dans le canton de Neuchâtel. « Je sais que la presse aime les choses simples, mais il est trop tôt pour se prononcer. Nous ne disposons pas des chiffres nécessaires », a affirmé le Conseiller d’Etat Bernard Soguel.
Le problème pour le chef de l’économie neuchâtelois, c’est que personne ne semble l’écouter. La presse écrite et la radio lui ont même largement fait dire ce qu’il s’était refusé à dire, à savoir qu’il y a effectivement dumping salarial, ce que les syndicats ne se gênent pas d’affirmer non plus. Cela paraît en effet très vraisemblable, car avec l’entrée en vigueur de l’ACLP, les conditions d’engagement des frontaliers ne plus contrôlées de façon systématique.
Selon les chiffres présentés dans l’étude, le revenu disponible d’un frontalier, après déduction des assurances-maladie, du loyer, des impôts et des frais de déplacement, serait de 72% supérieur à celui d’une personne travaillant et vivant en France. Avec une pareille différence, on conçoit que les frontaliers soient prêts à négocier leurs salaires à la baisse et à faire preuve d’une plus grande flexibilité que les Suisses.
Les syndicats font-ils leur boulot ?
Depuis l’entrée en vigueur de l’ACLP, les commission tripartites État/syndicats/employeurs sont chargées de dénoncer les abus. Mais elles ne fonctionnent pas de manière satisfaisante. Bernard Soguel lui-même reconnaît implicitement qu’il y a un problème, puisqu’il s’est déclaré « vraiment surpris » que les syndicats n’utilisent pas plus les possibilités que leur offre la nouvelle loi. En effet, tous les cas dénoncés jusqu’ici aux commissions tripartites l’ont été par l’Etat. A Unia, on rétorque que la loi est mal faite et que les informations nécessaires sont souvent trop difficiles à obtenir. D’autre part, seuls sont illégaux les salaires situés en-dessous du minimum prévu par les conventions collectives. Dans les branches où la majorité des salariés sont payés au-dessus du salaire conventionné, il peu y avoir dumping en toute légalité.
Une intégration faible
Les tensions des deux côtés de la frontière pourraient s’apaiser si plus de frontaliers s’établissaient en Suisse. Mais l’écrasante majorité ne l’envisage absolument pas. On peut d’ailleurs se demander si les deux côtés de la frontière se connaissent vraiment. Plus de la moitié des frontaliers se rendent rarement en Suisse en dehors de leur travail, alors même que les trois quarts y travaillent depuis 5 ans.
Les auteurs de l’étude sont d’avis qu’une meilleure information des frontaliers pourrait pousser un plus grand nombre d’entre eux à s’établir en Suisse, car beaucoup ne se rendent pas compte qu’une grande partie de leurs avantages financiers sont en fait rogné par les frais de déplacements. Mais on peut douter que cela suffise à régler le problème.
En fait, tout porte à croire que le nombre de frontalier va continuer à augmenter au cours des prochaines années. Compte tenu de l’inefficacité des contrôles, l’effet sur les salaires ne sera pas négligeable. On donc peut légitimement craindre un accroissement des tensions xénophobes au cours des années à venir.

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