Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

21 juillet 2001

Quito: l’enfer des bus.


Une colonne d’épaisse fumée noire s’élève devant le ministère de l’environnement. Il ne s’agit pas d’un train à vapeur, mais d’un des innombrables bus de la capitale de l’Equateur. Rapidement, il poursuit sa course, ne laissant derrière lui qu’une odeur nauséabonde. D’autres bus suivent, tout aussi polluants et tout aussi pleins. Je crache toute ma salive pour tenter de me débarrasser du goût infâme qui envahit ma bouche, en vain.

Enfin, de la porte du cinquième ou sixième bus, quelqu’un me fait signe qu’il y a de la place. Je cours et je saute en marche: il est inutile d’attendre qu’il s’arrête. Les retraités et les enfants en savent quelque chose: aux heures de pointes, rares sont les chauffeurs qui se soucieront d’eux, qui ne paient que demi-tarif alors qu’ils utilisent un siège entier.

Le véhicule étant un peu bas de plafond, je ne manque pas de me cogner la tête. Je m’agrippe où je peux, la spécialité des chauffeurs du crû étant d’accélérer brusquement au moment où on s’y attend le moins. Mes genoux douloureux et mon orgueil meurtri se souviennent encore de leur chute du premier jour. La moindre seconde d’inattention peut être fatale.

Fort heureusement, je peux m’asseoir, comme toujours. En règle générale, les passagers debout ne sont pas admis. Mais le propriétaire de ce bus-ci a découvert une astuce pour compenser ce qu’il considère sans doute comme un manque à gagner: il a simplement ajouté une rangée de sièges supplémentaire. Bien entendu, je suis un peu à l’étroit. Mon sentiment de claustrophobie est renforcé par l’obscurité, car comme tous les jours, le soleil s’est couché à six heures, et il n’y pas d’éclairage à l’intérieur du véhicule. En plus, pour changer, il y a un embouteillage dans le tunnel. À nouveau, j’ai l’impression que tous les gaz d’échappements du monde me prennent à la gorge.

Le bus repart à tombeaux ouverts pour rattraper le temps perdu. La pente est vertigineuse. Je suis un peu inquiet dans ce véritable funiculaire sans câble. N’ai-je pas lu dans le journal que certains chauffeurs louent des pneus neufs uniquement pour passer l’expertise1?

Je suis bientôt à destination. Dans la pénombre et malgré les nids-de-poules, je parviens à préparer les 20 cents de dollars des États-Unis dont j’ai besoin pour régler ma course. Il n’y a pas moyen d’y couper, la notion d’abonnement semble inconnue ici. Pour les Équatoriens qui doivent prendre le bus tous les jours, cela finit par représenter une proportion importante de leur salaire.

Enfin, je suis arrivé. En voyant les irrégularités du trottoir qui défilent devant moi, j’hésite un peu à sauter en marche. Mais devant l’insistance du chauffeur, je n’ai guère le choix. Par chance, j’atterris sans dommage. Enfin la terre ferme!

1 El Comercio, 1.7.01

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