Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

10 novembre 2011

La droite Pinocchio contre le salaire minimum

La droite a décidé d'attaquer... par la gauche. Voilà ce qui se passe en ce moment dans les cantons de Genève et Neuchâtel, qui voteront simultanément, le 27 novembre, sur un salaire minimum cantonal.


A Genève, l'affiche du Mouvement Citoyen Genevois (MCG) affirme: «NON au SMIC à la française qui va faire baisser tous les salaires». L'initiative est également combattue par un, excusez du peu, «Comité contre la baisse des salaires».

A Neuchâtel, les électeurs ont découvert dans leur boîte aux lettres un tract au titre des plus étonnants: «Salaire minimum fixé par l'Etat à 2'500 francs? Non merci, c'est indécent!» Dans ce brûlot «ultra-gauchiste» de la CNCI (Chambre neuchâteloise du commerce et de l’industrie) et de l’UNAM (Union cantonale neuchâteloise des arts et métiers), on lit aussi que le salaire minimum entraîne «une baisse généralisée des salaires». On se demande bien par quelle mystérieuse contagion l'ensemble des rémunérations devrait être tiré vers le bas. Certes, le tract nous apprend qu’en France, lors de l'introduction du SMIC il y a plus de 30 ans, «environ 10% des travailleurs étaient payés à ce niveau-là. Ils sont actuellement plus de 16%.» Pourtant, aucune loi n'empêche les patrons français d'augmenter ces salaires. En revanche, s'ils avaient le droit de les diminuer, on peut supposer que certains utiliseraient cette possibilité. Les pourfendeurs du SMIC se focalisent sur l'exemple français et ne font jamais référence à l'Allemagne, où l'absence de salaire minimum a ouvert la porte aux pires excès, au point que même la très conservatrice CDU d'Angela Merkel est en passe d'introduire un salaire minimum qui devrait se situer autour de 8 euros de l'heure. Dans Le Temps du 31 octobre, on lit que «cinq millions de salariés touchent des salaires dérisoires. Les cas de coiffeuses payées deux euros de l’heure ou de femmes de chambre gagnant un euro par chambre nettoyée dans les hôtels ont défrayé la chronique ces derniers temps, provoquant la colère de l’opinion.» Il serait curieux de savoir ce que la droite à Neuchâtel et à Genève pense d'Angela Merkel. La suspectent-ils, par le plus terrible des machiavélismes, de vouloir introduire le salaire minimum afin de faire baisser les salaires allemands, faisant ainsi de son pays un compétiteur encore plus redoutable pour l'Europe du Sud?

Raphaël Comte bientôt syndicaliste?

Sidéré par une pareille mauvaise foi, nous avons demandé à quelques personnalités de la droite si elles cautionnaient le tract invraisemblable des patrons neuchâtelois. Seuls le conseiller d’Etat Thierry Grosjean et le président de la Ville de Neuchâtel Alain Ribaux ont eu l'intelligence de prendre leurs distances, en affirmant toutefois, sans beaucoup d'arguments, que la propagande de la gauche ne valait pas mieux que celle de la droite. Des réponses d’autres élus, ainsi que de l'analyse des débats au Grand Conseil, il faut tirer la conclusion que la droite neuchâteloise, dans son écrasante majorité, prétend réellement croire à l'abracadabrantesque théorie selon laquelle le salaire minimum représenterait un danger pour le niveau de rémunération des travailleurs. A moins que tous ces gens soient victimes d'une hallucination collective, il faut en déduire qu'il s'agit d'une stratégie délibérément mensongère. Quant au conseiller aux Etats libéral-radical Raphaël Comte, il reconnaît que la situation des travailleurs non couverts par les conventions collectives peut poser problème. Toutefois, il estime que le salaire minimum n'est pas la solution et préconise une meilleure organisation des partenaires sociaux afin que tous les secteurs puissent être conventionnés. On doit donc conseiller vivement aux syndicats de l'engager, lui qui affirme clairement que tout le monde doit bénéficier d'un salaire décent. Peut-être parviendra-t-il à faire augmenter le taux de syndicalisation...

Une négligence bénigne de solidaritéS et de la gauche

Malgré toute la monstruosité du tract patronal, on peut malgré tout, sur un point, lui donner partiellement raison. Il renvoie à un arrêt du Tribunal fédéral selon lequel «le salaire minimum devrait se situer à un niveau relativement bas, proche du revenu minimal résultant des systèmes d'assurance ou d'assistance sociale, sous peine de sortir du cadre de la "politique sociale" pour entrer dans celui de la "politique économique" et, donc, d'être contraire à la liberté économique». Or, la documentation de solidaritéS ne fait pas mention de cet arrêt du Tribunal fédéral, qui annulait l’invalidation par le Grand Conseil genevois de l’initiative pour un salaire minimum déposée dans ce canton par solidaritéS, justement. Bien entendu, les militants de solidaritéS veulent vraiment un salaire minimum à 4’000 francs et leur recommandation de vote va vraiment dans ce sens. Ils ne disent donc pas l'exact inverse de ce qu'ils pensent et leur négligence bénigne n'est pas du tout à mettre sur le même plan que l'hypocrisie patronale. Malgré tout, si la gauche veut vraiment améliorer le niveau de culture politique, il convient de dire toute la vérité aux citoyens, sans faire miroiter des promesses qui ne peuvent être tenues.

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