Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

31 octobre 2007

Cancer du sein : la politique du provisoire

Neuchâtel rattrape les autres cantons romands en traînant les pieds. Mais pour combien de temps ?

Une femme sur 10 développera un cancer du sein au cours de sa vie. Environ 1400 Suissesses, dont 45 à 50 Neuchâteloises, en meurent chaque année. Il n’est pas à donc pas à l’honneur du canton de Neuchâtel d’être le dernier de Romandie, avec 14 ans de retard sur le canton de Vaud, à mettre sur pied un programme de dépistage par mammographie.
Un humanisme rentable
Rappelons qu’à la suite d’une motion déposée par le médecin popiste Marcelo Droguett et acceptée sans opposition par le Grand Conseil, le Conseil d’Etat (de droite) publiait en 2004 un rapport demandant un crédit de 1,4 millions pour financer un programme sur 5 ans. On lit notamment que même Santésuisse est favorable au dépistage par mammographie car « un seul traitement chimiothérapique lourd coûte plusieurs dizaines de milliers de francs en une année ». Le Conseil d’Etat nous dit aussi qu’« il s'agit également de prendre en compte les conséquences économiques des absences sur les lieux de travail des femmes atteintes d'un cancer ».

Un court-termisme pathologique

Coup de tonnerre en août 2005. Par une invraisemblable volte-face et en violation totale de l’esprit de la démocratie, le Conseil d’Etat « de gauche », fraîchement élu, décidait soudainement de retirer le rapport juste avant le débat prévu au Grand Conseil, sans même prévenir les députés de sa propre majorité. Voilà qui est symptomatique de la dégénérescence qui a atteint le débat politique dans le canton de Neuchâtel depuis l’adoption en juin 2005 des instruments dits de « maîtrise des finances », qui condamnent le canton à un court-termisme pathologique.

Une protestation louable
Tentant de faire croire que la décision de comptables myopes prise par le Conseil d’Etat relevait d’une véritable vision, M.Debély osait parler d’une « volonté de lutter contre le cancer du sein », mais affirmait vouloir inscrire cette lutte dans un « véritable programme cantonal de promotion de la santé », évoquant pêle-mêle l’obésité, le tabagisme et le sport, « l’objectif étant de garantir et d’améliorer la qualité de vie ». En évoquant ce « programme cantonal », cache-sexe de circonstance destiné à masquer la vacuité des ses arguments, le Conseil d’Etat était d’autant moins crédible qu’il n’expliquait à aucun moment pourquoi il renonçait soudain à l’objectif à long terme mentionné dans le rapport, soit « un programme unique de dépistage romand ». On ne peut que féliciter Marcelo Droguett d’avoir alors quitté la salle en signe de protestation.
Nouveau coup de théâtre quelques jours plus tard, la Banque cantonale neuchâteloise (BCN) annonçant qu’elle faisait don au Canton des 1,4 millions manquant. Un an et demi plus tard, après de dures négociations avec Santésuisse concernant le coût des mammographies, le programme va enfin démarrer et toutes les Neuchâteloises âgées entre 50 et 70 ans seront progressivement invitées à des mammographie gratuites.

Une récupération choquante

S’il est heureux que Neuchâtel rattrape ainsi son retard, il est malgré tout déplorable qu’une motion lancée par un député du POP soit récupérée pour diffuser dans le grand public l’idée profondément antidémocratique selon laquelle les banques seraient plus généreuses et humaines que l’Etat. On peut se demander en effet quelle proportion de la population différencie une institution d’intérêt public comme la BCN d’une vulgaire entreprise privée comme l’UBS. Il est également assez saumâtre qu’il revienne à Roland Debély de lancer la campagne de prévention et qu’il se fasse photographier par la presse locale en train d’affirmer que «mieux vaut prévenir que guérir».
De plus, rien n’est acquis définitivement, le financement des mammographies n’étant garanti que pour 4 ans par le don de la BCN. On se réjouit à l’avance d’entendre le discours que nos autorités nous serviront à cette échéance.

10 octobre 2007

Sans-contrats de tous les pays, unissez-vous !

Le chômage est un phénomène que beaucoup de gens ne comprennent pas bien : pourquoi y-a-t-il des gens qui ne travaillent pas alors qu’il y aurait tant de choses à faire ? La réponse est simple : parce qu’il n’y a pas assez d’argent pour les payer. Ayant compris cela aussi bien que nous, nos autorités ont depuis longtemps eu l’idée de faire travailler les chômeurs à prix réduit. Cette histoire étant insuffisamment étudiée, nous passons peut-être tous les jours sans le savoir sur des routes bâties par les « chômeurs » des années trente, dont rien ne rappelle la mémoire. Aujourd’hui encore, certaines administrations seraient bien embêtées si elles ne pouvaient plus compter sur les « chômeurs ».
Il est d’ailleurs un peu dérangeant qu’on continue de parler de « chômeurs » pour désigner ces travailleurs. Je propose donc de désigner par « sans-contrats » les travailleurs qui ne bénéficient pas d’un contrat de travail reconnu en tant que tel, même si en général on leur fait signer des « contrats d’insertion ». En règle générale, le travail du sans-contrat est considéré à priori comme dénué de toute valeur et l’argent qu’il reçoit est n’est pas considéré comme un salaire. Même s’il a accompli un travail extraordinaire, un sans-contrat au bénéfice de l’assurance-chômage n’est pas sûr de recevoir de l’argent à la fin du mois, car il faut en outre qu’il prouve qu’il a cherché un autre travail et n’a refusé aucun « emploi convenable ».
A défaut de pouvoir obtenir qu’on accorde un contrat de travail à tous les travailleurs, la gauche se doit de revendiquer un minimum de dignité pour les sans-contrats.
Premièrement, nul ne devrait être obligé à accepter un emploi sans contrat de travail. Il importe donc que la gauche s’oppose à tout projet allant dans ce sens, comme par exemple actuellement dans le canton de Neuchâtel où le Conseil d’Etat prévoit d’imposer du travail sans contrat à tous les bénéficiaires de l’aide sociale de moins de trente ans. Soit dit en passant, même d’un point de vue de droite, si vraiment on souhaite que plus de bénéficiaires de l’aide sociale travaillent à prix réduit pour la collectivité, il paraît plus efficace de les motiver en les traitant avec plus de dignité plutôt que de les contraindre.
Deuxièmement, toute personne qui travaille devrait être dispensée de justifier de recherches d’emplois, ainsi que de convocations régulières à des entretiens qui servent principalement à lui rappeler que ce qu’elle fait n’est pas du « vrai travail ». Nous connaissons le cas d’une personne en contrat d’insertion qui était convoquée à des entretiens que son assistante sociale fixait volontairement en dehors de ses heures de travail. Qui donc apprécierait de devoir rendre visite à son patron pendant ses jours de congé ? Le principe de la surveillance des chômeurs est discutable en lui-même, car il tend à mettre la responsabilité du chômage sur ceux qui en sont victimes. Mais dans le cas de personnes qui travaillent à prix réduit pour la collectivité, cela relève de l’acharnement.
Troisièmement, il faudrait cesser de diviser les sans-contrats en sous-travailleurs (personnes au bénéfice de l’assurance-chômage), en sous-sous-travailleurs (personnes aux mesures de crises) et en sous-sous-sous-travailleurs (personnes à l’aide sociale). Certes, ces catégories ont leur utilité pour l’administration. Par exemple, un bénéficiaire de l’aide sociale qui a obtenu un droit aux mesures de crises après avoir rempli un certain nombre de conditions pourra être considéré comme « réinséré », ce qui permettra de publier des statistiques flatteuses. Mais en réalité, ces catégories de fous sont tout juste bonnes à rendre les gens alcooliques. Passer d’un pseudo-emploi à un autre n’a rien à voir avec de l’insertion professionnelle et il est plutôt désagréable d’être considéré comme une patate chaude que les différents services cherchent à se refiler autant qu’ils peuvent.
Sans nul doute, on nous rétorquera que certains sans-contrats sont incapables de fournir un travail satisfaisant et qu’il n’est donc pas correct d’affirmer que la collectivité les exploite. Mais si c’est le cas, cela veut dire que ces personnes ne pourront de toutes manières pas retrouver d’emploi, du moins dans un avenir proche. Cela veut aussi dire, très souvent, qu’elles ont eu un parcours difficile et ont une piètre estime d’elles-mêmes. Nous voyons là des raisons supplémentaires de ne pas les rabaisser par des contrôles inutiles, de ne pas considérer à priori leur travail comme dénué de toute valeur et ne pas les surveiller comme des parasites.

Lutte des classes au POP

Au cours d’une récente discussion de parti, un militant chômeur protestait contre l’absence de mise au concours des postes dans l’administration cantonale, désormais réservés à la mobilité interne des fonctionnaires victimes des déstructurations en cours.
Les fonctionnaires présents ont réagi avec une certaine perplexité. Ils comprenaient mal qu’un camarade puisse s’attaquer à cette revendication syndicale importante qu’est le reclassement au sein de la fonction publique des employés de l’Etat éjectés de leur service.
Pourtant, d’un point de vue de chômeur de longue durée, des lois qui biaisent les mises au concours au profit de ceux qui sont déjà dans le système ont quelque chose de fondamentalement choquant, car elles ne font que renforcer l’inégalité des chances déjà existante.
Cet authentique conflit de classe entre salariés et chômeurs est traditionnellement théorisé par des économistes de droite, le capital ne s’étant jamais privé de diviser pour régner. La politique de l’autruche étant mauvaise conseillère, le POP se doit de débattre ouvertement de cette contradiction qui durera aussi longtemps que nous n’aurons pas réussi à imposer une politique de plein emploi.
Dans ce débat, il importe avant tout de savoir que les interlocuteurs ne sont pas égaux, car les chômeurs sont peu organisés, craignent de s’engager et leur parole a généralement moins de poids. Par conséquent, toute arrogance vis-à-vis d’eux ne fera que les pousser dans les bras de l’UDC.