Une colonne d’épaisse
fumée noire s’élève devant le ministère de l’environnement.
Il ne s’agit pas d’un train à vapeur, mais d’un des
innombrables bus de la capitale de l’Equateur. Rapidement, il
poursuit sa course, ne laissant derrière lui qu’une odeur
nauséabonde. D’autres bus suivent, tout aussi polluants et tout
aussi pleins. Je crache toute ma salive pour tenter de me débarrasser
du goût infâme qui envahit ma bouche, en vain.
Enfin, de la porte du
cinquième ou sixième bus, quelqu’un me fait signe qu’il y a de
la place. Je cours et je saute en marche: il est inutile d’attendre
qu’il s’arrête. Les retraités et les enfants en savent quelque
chose: aux heures de pointes, rares sont les chauffeurs qui se
soucieront d’eux, qui ne paient que demi-tarif alors qu’ils
utilisent un siège entier.
Le véhicule étant un
peu bas de plafond, je ne manque pas de me cogner la tête. Je
m’agrippe où je peux, la spécialité des chauffeurs du crû étant
d’accélérer brusquement au moment où on s’y attend le moins.
Mes genoux douloureux et mon orgueil meurtri se souviennent encore de
leur chute du premier jour. La moindre seconde d’inattention peut
être fatale.
Fort heureusement, je
peux m’asseoir, comme toujours. En règle générale, les passagers
debout ne sont pas admis. Mais le propriétaire de ce bus-ci a
découvert une astuce pour compenser ce qu’il considère sans doute
comme un manque à gagner: il a simplement ajouté une rangée de
sièges supplémentaire. Bien entendu, je suis un peu à l’étroit.
Mon sentiment de claustrophobie est renforcé par l’obscurité, car
comme tous les jours, le soleil s’est couché à six heures, et il
n’y pas d’éclairage à l’intérieur du véhicule. En plus,
pour changer, il y a un embouteillage dans le tunnel. À nouveau,
j’ai l’impression que tous les gaz d’échappements du monde me
prennent à la gorge.
Le bus repart à tombeaux
ouverts pour rattraper le temps perdu. La pente est vertigineuse. Je
suis un peu inquiet dans ce véritable funiculaire sans câble.
N’ai-je pas lu dans le journal que certains chauffeurs louent des
pneus neufs uniquement pour passer l’expertise1?
Je suis bientôt à
destination. Dans la pénombre et malgré les nids-de-poules, je
parviens à préparer les 20 cents de dollars des États-Unis dont
j’ai besoin pour régler ma course. Il n’y a pas moyen d’y
couper, la notion d’abonnement semble inconnue ici. Pour les
Équatoriens qui doivent prendre le bus tous les jours, cela finit
par représenter une proportion importante de leur salaire.
Enfin, je suis arrivé.
En voyant les irrégularités du trottoir qui défilent devant moi,
j’hésite un peu à sauter en marche. Mais devant l’insistance du
chauffeur, je n’ai guère le choix. Par chance, j’atterris sans
dommage. Enfin la terre ferme!
1
El Comercio, 1.7.01
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