“Plan Colombie, un
plan pour la paix, la prospérité et le renforcement de l’Etat”.
Tel est le nom officiel du projet concocté par le Président
colombien Andrés Pastrana avec la collaboration du gouvernement de
Bill Clinton. Jusqu’á présent, le Congrès des États-Unis a
accepté d’assumer 1,36 des 7,5 milliards de dollars prévus sur
six ans. Curieusement, plus de la moitié des dépenses prévues pour
ce “plan de paix” sont destinées à renforcer l’immense armée
Colombienne (400 000 hommes, 5% du PIB1).
Accessoirement, cela renforcera également les entreprises d’armement
étasuniennes.
Un des objectifs
principaux du Plan est, du moins officiellement, la lutte contre les
plantations illégales. De fait, la production colombienne de coca a
pris un essort sans précédent au cours des quinze dernières
années, passant entre 1986 et 1999 de 24 000 à 123 000 hectares.
Quant à celle de pavot, négligeable en 1985, elle atteignait 7 500
hectares en 19992.
Les États-Unis et
Pastrana ont opté pour la vieille méthode des fumigations
aériennes: appliquée pour la première fois en 1975 au Mexique,
elle a ensuite été étendue à plusieurs autres pays,
principalement en Amérique latine. Les instigateurs et bailleurs de
fonds en ont toujours été les États-Unis, qui fournissent avions
et produits chimiques3.
En Colombie l’aspertion
d’herbicides sur les plantations illégales remonte à 19784
et n’a pas cessé jusqu’à nos jours. Mais, l’offensive a pris
des proportions sans précédent. Rien qu’au cours de la première
phase du Plan “anti-drogue”, entre décembre et janvier, plus de
25 000 hectares auraient été fumigués5.
D’autre part, la
formule utilisée est particulièrement virulente. Le composant
principal est certes bien connu, puisqu’il s’agit du gliphosate,
l’herbicide le plus utilisé dans le monde, dont les ventes
dépassent les 1,5 milliards de dollars et sont en rapide
augmentation. Mélangé à diverses autres substances, il est
commercialisé sous une multitude de marques différentes. Le
principal fabricant en est Monsanto, le géant monopolistique des
OGM, qui adapte ses semences à ses herbicides et vice-versa6.
Toutefois, il ne s’agit
pas d’un produit aussi anodin qu’on pourrait le croire, puisqu’un
juge new-yorkais a interdit à Monsanto d’affirmer sur ses
étiquettes que son produit était “sûr, non-toxique et
inoffensif”7.
Le gliphosate, de par sa solubilité, est susceptible de contaminer
les nappes phréatiques. En outre, il a des effets toxiques sur la
majorité des plantes. Selon la EPA (Environment Protecion Agency —
agence responsable de la protection de l’environnement aux
Etats-Unis), l’utilisation de gliphosate aux Etats-Unis mêmes
compromettrait la survie de 74 espèces menacées8.
Le mélange utilisé pour
la première phase des fumigations était le Roundup, c’est-à-dire
du gliphosate aditionné de POEA, substance qui augmente la capacité
de pénétration du gliphosate dans les tissus vivants, qu’il
s’agisse des plantes ou de la peau. Il est rangé dans la classe de
toxicité IV (légèrement toxique) en Colombie, mais dans la classe
II (hautement toxique) aux États-Unis9.
Le Roundup a été à l’origine de nombreux cas d’empoisonnements
chez l’être humain, parfois mortels. Parmi ses effets connus, on
peut mentionner des lésions du système nerveux central, du système
gastrointestinal et des reins, ainsi que les problèmes respiratoires
et la destruction de globules rouges, sans oublier le cancer.
L’entreprise Monsanto
elle-même est consciente des dangers de son produits, puisque sur
ses propres étiquettes, elle affirme entre autres10:
- Evitez de transporter ou de stocker avec des aliments
- Utilisez des lunettes, des gants, des bottes de caoutchouc et des vêtements de protections lors de la manipulation et l’application.
- Appliquez lorsqu’il y a peu de vent.
- Evitez le contact avec les yeux et la peau. Provoque des irritations.
- Après avoir terminé, changez de vêtements et lavez-vous abondamment avec de l’eau et du savon.
- Suspendez l’application si la pluie est imminente.
Les instigateurs du Plan
Colombie ont-ils lu les étiquettes avant de procéder à des
fumigations massives par voie aérienne? On peut légitimement en
douter, puisque l’an dernier, l’ambassadeur des États-Unis en
Équateur a affirmé que “le gliphosate a les mêmes effets sur
l’organisme humain que le sel de cuisine, est moins dommageable que
la nicotine ou la vitamine A et est utilisé pour la majeur partie
des cultures dans le monde, y compris dans les jardins”. Quant au
ministre colombien de l’environnement, Juan Myer, il a déclaré
que les fumigations n’entraînaient “pas de dommages importants”
11.
De plus, l’efficacité
du Roundup a été jugée insuffisante et depuis mai 2001, une
formule “améliorée” est utilisée, le Roundup Ultra. La
concentration en gliphosate y est de 26%, alors que le pourcentage
recommendé pour l’utilisation normale comme herbicide est de 1%. En
outre, le Roundup ultra contient du Cosmoflux 411F, produit considéré
comme extrêmement toxique par l’USEPA (United States Environment
Protection Agency). Les effets du Roundup Ultra à long terme n’ont
pas été testés sérieusement, la seule certitude étant qu’il
est plus toxique que le Roundup.
La propagation du Roundup
ultra est difficilment contrôlable et ses effets se font sentir bien
loin des champs de coca, y compris au-delà des frontières de la
Colombie, plus précisément en Équateur, pays qui ignore pour
l’instant le problème des plantations de coca mais qui est
limitrophe des zones de fumigations. Selon un enquête de l’ONG
Acción ecológica effectuée au mois de juin, la totalité des
personnes vivant à moins de cinq kilomètres de la frontière, et
89% de celles vivant à moins de 10 kilomètres, présentaient des
symptômes d’intoxication.
Pas moins de 36 symptômes
ont été observés, dont les plus fréquents sont la fièvre (63%),
la diarrhée, les maux de tête, la toux, les irritations de la peau,
la conjonctivite, les vomissements et les douleurs abdominales.
Les plus touchés étaient les enfants. En outre, la
population ne recevait aucune aide médicale et en était réduite
aux herbes médicinales12.
Le bétail et les cultures ont également été atteints. Pour
l’heure, aucun dédommagement n’est prévu.
Ces problèmes ne sont
pas simplements momentanés. Trois mois après les fumigations, un
tiers des personnes vivant à moins de cinq kilomètres de la
frontière présentaient encore des symptômes, en particulier des
irritations de la peau. À cela s’ajoute que de nouvelles
fumigations ne sont aucunement à exclure.
Le problème en Équateur
est grave, mais il est probablement dérisoire en proportion de la
catastrophe qui frappe le peuple colombien, dont personne ne peut
encore mesurer l’ampleur.
Toutefois, l’ambassadeur
des États-Unis en Équateur continue à s’efforcer de “rassurer”
la population. Le 12 août 2001, il affirmait à la chaîne de
télévision Equavisa que “le gliphosate s’utilise aux États-Unis
depuis 20 ans sans avoir jamais causé de dommage”.
Efficacité douteuse
La politique de
fumigation, outre ses conséquences désatreuses sur la santé des
populations, la biodiversité et la stabilité politique, semble
vouée à l’échec quant à son but théorique, qui est
l’éradication des plantations illégales. Il semble clair que les
puissants réseaux criminels qui contrôlent un des marchés les plus
juteux de l’économie mondiale trouveront toujours moyen de se
fournir en coca ou en pavot. On peut observer une sorte de principe
des vases communicants: la diminution de la production de drogue en
Bolivie et au Pérou a coincidé avec une augmentation de la
production en Colombie. Toute baisse momentanée de l’offre
mondiale aura automatiquement pour effet de faire monter les prix et
par conséquents de stimuler la production. Même en imaginant qu’on
puisse un jour éradiquer la coca et le pavot de la planète entière
— au prix d’un cataclysme humain et écologique sans précédent
—, cela ne ferait que stimuler la production de substituts
chimiques....
Même s’il est peu
contestable que beaucoup des acteurs de la “lutte anti-drogue”
croient réellement lutter contre le fléau, il est tout aussi
certain que les plans étasuniens visent un tout autre objectif: la
guérilla colombienne, qui dispose de plusieurs décennies
d’expérience de la lutte armée, est en pleine expansion. Les FARC
(Forces armées révolutionnaires de Colombie), qui en 1986
comptaient 3200 hommes et femmes en armes, en comptaient 7200 en
1995. Aujourd’hui, leur nombre serait de 18000. L’autre guérilla
colombienne, l’ELN (Ejército de liberación nacional — Armée de
libération nationale), alliée des FARC, serait passée durant le
même lapse de temps de 800 à 3000 combattants et combattantes.13
Il est évident que Washington peut difficilement tolérer cela dans
son “arrière-cour”.
Or, les FARC et l’ELN
vivent en grande partie de l’argent de la drogue, puisqu’elles
perçoivent des impôts de tous les agriculteurs, quels que soient
les produits qu’ils cultivent. Il se trouve simplement que les
cultures les plus lucratives sur le marché mondial sont actuellement
la coca et le pavot. Pour beaucoup de Colombiens il s’agit
simplement d’une question de survie, les fluctuations du cours du
café ne leur ayant pas laissé d’autre choix. Mais comme dans le
cas des autres matières premières produites par le Tiers-Monde, les
producteurs de base ne reçoivent qu’une partie minime des
revenus, dont la plus grande partie revient à des “entreprises”
des Etats-Unis.
En réalité, la drogue
fournit un prétexte rêvé aux Etats-Unis et au Gouvernement
colombien pour attaquer ce qu’ils nomment la “narco-guérilla”.
Les fumigations, qui se produisent principalement dans
les régions contrôlée par la guérilla, paraissent donc être tout
simplement une arme de guerre économique qui, au vu de ses conséquences
tragiques, risque de mener à la guerre tout court. Une guerre où
selon toutes probabilités, les États-Unis fourniront la technologie
militaire et les armes, alors que la Colombie fournira les morts.
1
Salgado, Manuel, “Falacias y verdades sobre el plan Colombia”,
Casa de la Cultura equatoriana, Quito, 2001
2
Salgado, Manuel, op. cit.
3
Jelsma, Martin. “Breve historia de la Guerra Química y biológica
contra las Drogas” in “El uso de armas biológicas en la guerra
contra las drogas”, Acción ecológica, Quito, 2001. Les pays
mentionnés sont le Pérou, le Guatemala, les États-Unis, et la
Birmanie
4
Jelsma, Martin, op. cit.
5
“Report on the investigation of the impact of the fumigations
along the Ecuadorian border”. Acción ecológica, juin 2001
6
Nivia, Elva “Efectos sobre la salud y el ambiente de herbicidas
que contienen glifosatos” in “ El uso de armas biológicas en la
guerra contra las drogas”, Acción ecológica, Quito, 2001
7”Report
on ...” op. cit.
8
“Report on... “ op. cit.
9
Nivia, Elsa, op.cit. La différence de classification est due au
fait que la Colombie n’a pris en compte que la toxicité du
Roundup par ingestion orale, alors que les États-Unis on considéré
sa dangerosité pour les yeux.
10
Nivia, Elsa. Conference “The Wars in Colombia: Drugs, Guns and
Oil”. Universidad de Colombia, Davis, Mayo 17-19, 2001
11
Lucas Kintto. “Ecuador-Colombia: Fumigación anticoca causa
estragos en frontera”, IPS, 8 de julio del 2001
12
“Report on...” op.cit.
13
Salgado, Manuel op. cit.
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