Ce blog rassemble pour l'essentiel mes textes parus dans la presse suisse romande, notamment dans l'Impartial/l'Express, Gauchebdo, le Courrier, Domaine public et le Temps.

03 avril 2012

A la gloire d'un compagnon de Pinochet.

Valparaíso, deuxième ville du Chili. Au sommet d'une de ses 45
collines trône le Musée naval et maritime. A l'entrée, une inscription
nous fait savoir que nous ne sommes pas là pour rêver aux vastes
espaces de l'océan, comme nous nous l'imaginions peut-être naïvement:
"Tu entres dans l'enceinte qui garde les reliques de ceux qui, par
leurs faits héroïques dans la guerre, et par leur conduite sage et
honorable dans la paix, ont rendu grand et respecté le nom de notre
marine". Une partie importante du musée glorifie les héros de la
Guerre du Pacifique (1879-1883) qui permit au Chili d'étendre son
territoire vers le nord sur près de 600km, s'appropriant ainsi de
lucratifs gisements de nitrates. Rien n'est prévu pour ménager les
sentiments des pays amputés par l'expansionnisme chilien, la Bolivie
et le Pérou.
Malgré cette atmosphère nationaliste et militariste, le visiteur
s’étonne néanmoins, au deuxième étage, de se retrouver dans une salle
dédiée à la mémoire de l'Amiral José Toribio Merino (1915-1996), un
des principaux instigateurs du coup d'Etat militaire du 11 septembre
1973 et un des quatre membres d'une junte militaire qui assassina des
milliers de personnes. Son portrait grandeur nature domine la salle et
on peut admirer la décoration reçue pour sa participation au coup
d'Etat. Ce fut lui en effet qui entraîna dans l'aventure le futur chef
de la junte, le tristement célèbre Augusto Pinochet (1915-2006). Dans
une missive du 9 septembre Merino prévint "Augusto" de l'imminence du
coup: "Sur ma parole d'honneur, le jour J sera le 11 et l'heure H sera
6h". "Si tu ne mets pas toute la force de Santiago dès le début, nous
ne vivrons pas pour voir le futur".
Le musée présente la proclamation faite le 11 septembre par Merino:
"Ceci n'est pas un coup d'Etat, car c'est un type de schéma qui ne
correspond pas à notre manière d'être et répugne à notre conscience
légaliste et notre profonde conviction civique. Nous poursuivons
uniquement le rétablissement d'un Etat de droit conforme aux
aspirations de tous les Chiliens...". Pas un mot sur l'absence
d'élections pendant les 17 années suivantes. "Formés à une école de
civisme, de respect pour la personne humaine, de vie en commun, de
justice et de patriotisme, nous ne poursuivons pas de finalité autre
que le bonheur de tous les Chiliens, quelle que soit leur condition,
afin qu'ils puissent vivre dans la paix et la tranquilité, sans
crainte du lendemain pour eux-mêmes ou leurs enfants." Pas un mot sur
les tortures.
Le sentimentalisme n'est pas pour autant absent de la salle. On peut
admirer les armoiries de la famille Merino, les photos de José Toribio
Merino enfant et de sa maison natale, ainsi que de son mariage, sans
oublier la douille tirée par l'escadre nationale lors de son accession
au grade de vice-amiral et une photo en compagnie de Jean-Paul II.
Sont également exposés quelques bibelots, cadeaux reçus par Merino de
la part du roi Juan Carlos d'Espagne, du vice-amiral Edwards de la
Britsh Royal Navy et du commandant en chef des forces d'opération de
la marine américaine. L'industrie minière a également offert un petit
souvenir à l'amiral, ce qui était la moindre des choses. Rappelons en
effet que la junte de Pinochet restitua aux industriels les mines
nationalisées par le président socialiste Salvador Allende
(1908-1973), celui-là même qui fut renversé par le coup d'Etat.
On peut également voir une statue en bronze de José Merino devant le
musée et en 1997 la marine chilienne a baptisé un de ses nouveaux
navires "Almirante Merino". Autant de preuves, s'il en fallait encore,
que la junte de Pinochet, 22 ans après de retour à la démocratie,
compte encore de nombreux partisans.

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